Troubles cognitifs des schizophrénies : les atypiques ne font pas mieux

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2009 ; 37.

On avait déjà longuement évoqué dans ces pages les doutes sérieux qui nous paraissaient peser sur cette notion qui court que les antipsychotiques atypiques possèderaient un effet thérapeutique supérieur à celui de leurs prédécesseurs en matière de troubles cognitifs dans les schizophrénies (1). Il suffisait en effet de décortiquer par le menu les protocoles de ce type d’essais cliniques (tous financés par les fabricants sans exception) pour se convaincre que le bât blessait en de multiples endroits, la principale faiblesse étant d’employer en tant que neuroleptique comparateur de l’halopéridol à des posologies à l’évidence handicapantes sur le plan du fonctionnement neuro-cognitif (que soit directement, ou indirectement par le recours aux correcteurs antiparkinsoniens qui en résultait). Dès lors que le comparateur partait avec un flagrant désavantage, il paraissait couru d’avance que le challenger l’emportât.

L’étude indépendante CATIE est venu apporter depuis une première confirmation à ces doutes (2). Elle a permis de montrer qu’il n’y avait aucune différence d’effet thérapeutique (en fait très peu d’effet tout court) entre les neuroleptiques de première et ceux de seconde générations au niveau des troubles cognitifs dans les schizophrénies « chroniques » (3). Mais cette étude séminale présentait deux défauts aux yeux des défenseurs acharnés de la cause pro-cognitive des atypiques : le comparateur de 1ère génération employé était de la perphénazine, une phénothiazine beaucoup moins souvent prescrite dans la pratique courante que le traitement de référence que représente l’halopéridol, et qui plus est pas très éloignée, pharmacologiquement parlant, des atypiques. L’autre défaut consistant en ce que les sujets étudiés étaient des patients souffrant d’une schizophrénie sévère depuis de très nombreuses années, en ce sens fixés depuis longtemps dans leur handicap cognitif et donc non représentatifs des schizophrénies à leurs débuts, lorsque se pose la question cruciale d’éviter un déclin cognitif de mauvais pronostic.

Une étude échappant à ces deux faiblesses méthodologiques vient maintenant de paraître qui devrait faire litière définitive des effets soit « pro-cognitifs » des antipsychotiques atypiques (4). Les patients étudiés étaient cette fois au début de leur maladie (1er épisode psychotique), et le comparateur employé de l’halopéridol. Pas à n’importe quelle dose : entre 1 et 4 mg seulement, histoire de rajouter le moins possible de troubles cognitifs iatrogènes.

Les résultats parlent d’eux-mêmes : aucune différence ne transparaît, au plan de l’amélioration des bilans cognitifs, après 6 mois de traitement, que l’on fasse appel à de l’halopéridol à faibles posologies (2,5mg/j en moyenne dans cette étude, ce qui est très raisonnable), à de l’olanzapine, de la quétiapine, de la ziprasidone ou encore à de l’amisulpride (lequel n’est d’ailleurs appelé « atypique » que depuis que son fabricant a pris la mesure du succès d’une telle étiquette). Six mois de traitement ne permettent, pour tous les neuroleptiques testés, qu’une modeste amélioration des performances cognitives, laquelle s’avère faiblement corrélée à l’amélioration clinique. Le rôle de l’apprentissage des consignes des tests en revanche n’est pas exclu.

Bref, qu’on cesse de faire croire que les atypiques ont transformé le pronostic des troubles cognitifs dans les schizophrénies. Ce qui les aggravait le plus, avant eux, ce sont les doses massives de neuroleptiques classiques qui étaient prescrites, ainsi que le recours systématique à des correcteurs dont les effets anticholinergiques n’améliorent ni la mémoire ni l’attention. Si l’on veut aggraver le moins possible les performances cognitives des patients, commençons par être le moins iatrogène possible sur ce plan. L’halopéridol convient aussi bien, à condition de rester autour de 2 mg/j. Mais qui respecte aujourd’hui une telle posologie en France ? Pas le Vidal en tout cas, qui continue de recommander des posologies de dix à vingt fois supérieures dans sa dernière édition (5).

Rappelons qu’un traitement par 2,5 mg/j d’halopéridol revient à un peu moins de 20 €uros par an, tandis qu’avec un atypique tel que l’olanzapine à 20 mg/j, la facture annuelle s’élève à 3000 €uros. En somme qu’est-ce qui définit le mieux le caractère « atypique » d’un neuroleptique ? Son prix : il est vendu 150 fois plus cher pour un service rendu identique. C’est en effet assez atypique… Soyons sérieux, si l’on veut réellement aider les patients atteints d’une schizophrénie chronique handicapante aujourd’hui, augmentons plutôt leur Allocation adulte handicapé (AAH) des trois mille €uros que coûtent inutilement à la collectivité des médicaments qui ne font pas mieux que leurs prédécesseurs meilleur marché. Ils sauront certainement en faire usage pour vivre un peu moins mal.

  1. Bottéro A. Questions sur les nouveaux neuroleptiques. Neuropsychiatrie, Tendances & Débats 2003 ; 22 : 9-13 (www.neuropsychiatrie.fr).
  2. Lieberman J.A., Stroup T.S., McEvoy J.P. et coll. Effectiveness of antipsychotic drugs in patients with chronic schizophrenia. N Engl J Med 2005 ; 353 : 1209-1223.
  3. Keefe R.S., Bilder R.M., Davis S.M., Harvey P.D. et coll. Neurocognitive effects of antipsychotic medications in patients with chronic schizophrenia in the CATIE trial. Arch Gen Psychiatr 2007 ; 64 : 633-647.
  4. Davidson M., Galderisi S., Weiser N., Feischhacker W.W. et coll. Cognitive effects of antipsychotic drugs in first-episode schizophrenia and schizophreniform disorder : a randomized, open-label trial (EUFEST). Am J Psychiatr 2009 ; 166 : 675-682.
  5. Vidal. Le Dictionnaire. Editions du Vidal, Paris, 2009.

Mots clés : neuroleptiques, antipsychotiques atypiques, troubles cognitifs, schizophrénie