Troubles cognitifs des schizophrénies : la part anticholinergique

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2005 ; 26.

Les schizophrénies s’accompagnent de troubles cognitifs dont la sévérité se trouve étroitement associée à leur pronostic. Ces troubles sont inconstants (ils sont absents dans 30% des cas environ [1]), et lorsqu’ils sont présents, ils varient d’un sujet à l’autre, d’un domaine cognitif à un autre, et avec le cours de la maladie. Ils peuvent être présents d’emblée, faire partie des antécédents prémorbides ou se dévoiler lors des premières décompensations psychotiques. Leur évolution est par la suite le plus souvent stable, ce qui a fait dire que les schizophrénies obéissaient à un modèle d’encéphalopathie statique. Mais ils peuvent rarement s’aggraver (notamment lors des débuts tardifs, voir ci-après, p. ),comme ils peuvent rétrocéder spontanément, à l’occasion d’une amélioration clinique, voir même disparaître, ou à tout le moins se faire indétectables cliniquement, en période de rémission (2). Bref, tout peut se voir ou pressque. Ce qui, soit dit en passant, rend bien périlleux de parler de « troubles cognitifs des schizophrénies » comme si on tenait là une caractéristique univoque de ces affections, un « endophénotype » ainsi que l’entendent volontiers les généticiens. Le plus probable est qu’ils représentent autant des facteurs prédisposants que des facteurs secondaires, des complications, des états schizophréniques, et que tant que l’on aura pas démêlé la part qui revient aux uns ou aux autres (ou inextricablement aux deux ?), on n’avancera guère.

Il faut d’ailleurs rajouter à la liste de ces troubles cognitifs un certain nombre directement attribuables aux effets des traitements utilisés. Le freinage dopaminergique s’accompagne de perturbations cognitives, l’arrivée des antipsychotiques atypiques a permis d’en prendre plus conscience. Mais d’autres troubles cognitifs d’origine iatrogène demeurent encore souvent dans l’ombre, ceux qui émanent des effets anticholinergiques des traitements. Un travail assez remarquable s’est efforcé d’en quantifier leur possible importance dans les schizophrénies (3).

La méthodologie imaginée par ses auteurs était particulièrement astucieuse. Ils ont eu l’idée de comparer la variation de trois paramètres calculés pour une cohorte de 106 patients atteints de schizophrénies stabilisées par un traitement : 1°) un index pharmacologique de la puissance anticholinergique des traitements pratiqués, dérivé de l’antagonisme muscarinique théorique attribué in vitro à chacune des molécules prescrites (neuroleptiques, mais aussi antidépresseurs, petits sédatifs phénothiaziniques, correcteurs extra-pyramidaux) ; 2°) un index anticholinergique clinique, obtenu à partir d’une cotation des manifestations anticholinergiques signalées par les patients (sécheresse buccale, constipation, flou visuel) ; 3°) un bilan neuropsychologique détaillé.

Les résultats parlent d’eux-mêmes. D’une part les deux index anticholinergiques, pharmacologique et clinique, sont étroitement corrélés entre eux, ce qui confirme que l’appréciation clinique du degré de blocage cholinergique est fiable. Mais surtout ils se révèlent tous deux étroitement corrélés aux troubles cognitifs décelés par la batterie de tests neuropsychologiques. L’impact cognitif des effets anticholinergiques est en particulier majeur sur les tests d’attention, notamment d’attention visuelle, d’attention auditive et d’attention dite complexe (test de Stroop, partie B du Trail Making, figure complexe de Rey), ainsi que sur ceux qui évaluent la mémoire à court terme (apprentissage et rappel verbal, visuo-spatial, mémoire déclarative) et à moyen terme (rappel des visages). En revanche ni les scores d’intelligence globale, ni ceux de mémoire de travail se voient influencés. Ce qui confirme, indirectement, que les déficits de la mémoire de travail se trouvent probablement au cœur des troubles cognitifs non iatrogènes des schizophrénies (4).

(1)Palmer BW, Heaton RK, Paulsen JS, Kuck J, Braff D & coll. Neuropsychology 1997 ; 11 : 437-446.

(2) Murray GK, Leeson V, McKenna PJ . Brit J Psychiatr 2004 ; 184 : 357-358.

(3) Minzenberg MJ, Pool JH, Benton C, Vinogradov S. Am J Psychiatr 2004 ; 161 :116-124.

(4) Silver H, Feldman P & al. Am J Psychiatr 2003 ; 160 : 1809-1816.