Timing cortical des hallucinations auditives

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2005 ; 26.

Lorsqu’elles s’attachent à repérer les zones corticales qui s’activent quand un patient atteint de schizophrénie signale qu’il « entend ses voix », la majorité des études d’IRM fonctionnelle conclut que deux régions différentes se trouvent en cause : l’une frontale, l’autre temporale. La première correspondant manifestement aux zones liées à la production du langage, la seconde à celles de l’audition, ces travaux confirment ce qu’on savait déjà, à savoir qu’une hallucination auditive met en jeu au moins deux activités neuro-cognitives distinctes, idéo-linguitique d’une part, acoustico-verbale de l’autre. Un autre aspect de ces travaux qui n’est pas si nouveau non plus, c’est que leurs auteurs divergent sur le rapport qu’il convient d’établir entre ces deux formes d’activité. Certains considèrent que l’hallucination auditive est une production du discours intérieur, avec erreur d’attribution sur une source externe, autrement dit que le phénomène est d’abord frontal/linguistique, secondairement temporal/auditif. D’autres estiment que le phénomène primaire se situe à un niveau temporal, avec génération d’événements acoustiques sur le modèle d’un foyer épileptique, et qu’il est associé à un décodage sémantique opéré par les aires linguistiques.

Une donnée cruciale manque à ces recherches, qui serait susceptible de trancher le débat, c’est la séquence temporelle exacte avec laquelle s’articulent les deux activations en question. C’est précisément ce que vient d’étudier le groupe d’imagerie de l’Institut de psychiatrie de Londres. Les résultats obtenus sont intéressants : la circonvolution frontale inférieure s’active toujours du côté gauche avant qu’un sujet ne signale qu’il entend des voix, avec une avance de 6 à 9 secondes en moyenne, ce qui est plutôt long au regard des temps de traitement cognitif habituels. Puis, lorsqu’il donne le signal qu’il hallucine, les circonvolutions temporales moyennes et supérieures s’activent simultanément, des deux côtés.

Autrement dit, la première hypothèse serait la bonne : le sujet pense quelque chose de lui (généralement un jugement négatif émis sur lui-même, qui lorsqu’on l’analyse reflète sa position ou ses inquiétudes à l’égard de la vie diminuée qu’il mène du fait de sa maladie), puis pense que c’est ce qu’on pense de lui, et finit par l’entendre à voix haute. C’était déjà à peu près dans ces termes que Janet critiquait la conception de l’automatisme mental élaborée par G. de Clérambault. Là où ce dernier imaginait une « irritation locale » des neurones du cortex auditif à l’origine de son « commentaire des actes et des pensées », Janet opposait que l’hallucination auditive correspond d’abord à un jugement moral, par lequel le sujet rapporte sa conduite à des valeurs sociales, d’un niveau d’ordre très supérieur à celui beaucoup plus élémentaire, neurologique, du simple phénomène sensoriel. La distinction n’est pas sans conséquences thérapeutiques. Si les voix traduisent bien une auto-appréciation négative du sujet au travers de son miroir social, le travail psychothérapique devrait faire porter tout l’effort sur comment l’aider à regagner une position socialement valorisée, qui le réconcilie avec lui-même, pour voir ses voix s’atténuer, plutôt que de passer d’interminables séances à lui démontrer qu’il n’y a pas de micros sous son lit ou d’émetteurs dans son poste de télé, comme le prônent un certain nombre de protocoles cognitivo-comportementaux.

Shergill SS, Brammer MJ, Amaro E & coll. Br J Psychiatry 2004 ; 185 : 516-517.