TOC et stimulation cérébrale profonde : premiers résultats

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2009 ; 36.

Après l’examen des hypothèses, celui des preuves. Il a été exprimé dans cette revue suffisamment de réticences sur ce qui justifierait le recours à des techniques neurochirurgicales dans le traitement des troubles psychiatriques (1, 2) pour ne pas se faire scrupule de rendre compte aussi objectivement que possible, des résultats de la première expérimentation française contrôlée de stimulation cérébrale profonde dans les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) (3).

  1. Schéma de l’étude

Il s’agit, signalons-le d’emblée, de résultats préliminaires, qui portent sur dix mois d’essai, dont trois seulement en situation de stimulation effective. Le schéma de l’étude était classique : essai multicentrique (10 centres coordonnés par l’équipe de la Salpêtrière), randomisé avec crossover en double aveugle, portant sur 16 cas de TOC « réfractaires » aux thérapeutiques actuelles. Soit la sélection et une évaluation de départ des candidats, l’implantation neurochirurgicale des électrodes, puis un tirage au sort de deux groupes, dont l’un bénéficiait de la stimulation active tandis que l’autre n’était que fictivement stimulé. D’une durée de trois mois, cette première étape débouchait sur un mois de pause avec réévaluations cliniques des patients. Etait alors opérée l’interversion (le « crossover ») des conditions de traitement : stimulations cette fois fictives pour le premier groupe, et effectives dans le second, trois mois durant là-encore. La cible cérébrale retenue par les auteurs était le noyau sous-thalamique, dans sa partie antéro-médiale (un carrefour d’associations affectivo-cognitivo-motrices [4]).

Les candidats ont été sélectionnés sur les critères suivants :

  • un âge compris entre 18 et 60 ans,
  • la présence d’un TOC « réfractaire » depuis plus de cinq ans,
  • un score à l’échelle d’obsession-compulsion de Yale-Brown supérieur à 25 (échelle allant de 0 à 40), ou un score à l’une des deux sous-échelles de Yale-Brown supérieur à 15 (obsession ou compulsion ; 0 à 20 chacune).

D’autres critères de gravité venaient compléter la sélection :

  • un score de fonctionnement global inférieur à 40 à la GAF (Global Assessment Functioning; échelle graduée de 90 à 1),
  • un score de sévérité globale supérieur à 4 à la CGI (Clinical Global Impression; graduée de 1 à 7).

Quant au caractère « réfractaire » du TOC, il était défini par :

  • l’absence de réponse à trois cures au moins d’inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (dont la clomipramine), d’une durée minimale de trois mois chacune, à dose maximale tolérée, avec au moins une tentative de potentialisation de plus d’un mois par la rispéridone ou le pimozide et soit du lithium, soit de la buspirone, soit du pindolol, soit du clonazépam ;
  • l’absence de réponse à une année, ou vingt séances minimum, de thérapie cognitive comportementale pratiquée par deux thérapeutes différents.

Etaient exclus de l’essai les patients présentant une autre affection psychiatrique (schizophrénie, trouble bipolaire, toxicomanies, etc.), un trouble de la personnalité (groupes A et B), un état dépressif majeur (un score ≥ 20 à l’échelle de dépression de Montgomery et Åsberg [MADRS] était toutefois toléré si les critères d’un épisode dépressif étaient absents), ou un quelconque risque suicidaire.

  1. Résultats

18 patients répondant à l’ensemble des critères que l’on vient d’énumérer ont pu être recrutés. L’un d’eux s’est désisté avant l’intervention, un autre a dû renoncer par suite d’une infection contractée pendant l’implantation des électrodes. 16 patients ont donc participé à l’essai dans son intégralité.

La durée moyenne de leur maladie était de 18 ans (entre 6 et 47 ans). Dans 10 cas sur 16, le début remontait à l’enfance (antérieur à 14 ans). Trois patients seulement avaient vu leur TOC se déclencher après leur vingtième année.

Le résultat clinique principal est le constat d’une baisse significative du score de l’échelle d’obsession-compulsion de Yale-Brown à l’issue de chacune des phases de stimulation active. Le score tombe en moyenne à 19 ± 8 chez les patients qui sont réellement stimulés, tandis qu’il plafonne à 28 ± 7 en cas de stimulation fictive (p = 0,005). L’atténuation des obsessions et des compulsions induite par la stimulation est observée dans les deux groupes de patients, mais elle tend à être plus marquée pour ceux qui ont bénéficié d’emblée de la stimulation active. On soupçonne-là un effet classique d’anticipation positive (enrôlement dans un essai spectaculaire mobilisant beaucoup de monde, intervention neurochirurgicale, etc.), ce qui expliquerait, par exemple, qu’un sujet d’abord soumis aux pseudo-stimulations ait pu se voir plus amélioré encore que ceux qui étaient véritablement stimulés.

Deuxième constat d’importance, l’amélioration ne perdure pas à l’arrêt des stimulations : les symptômes ont retrouvé leur intensité d’origine dès la pause intermédiaire à l’essai. La technique possède donc bien un effet spécifique.

Parallèlement à l’atténuation symptomatique observée sous stimulation, le fonctionnement global s’améliore : amélioration des scores tant de la GAF (56 ± 14 versus 43 ± 8 ; p = 0,005), que de la CGI. En revanche les scores d’auto-évaluation du handicap fonctionnel établis par les patients (Sheehan Disability Scale) n’ont nullement varié pendant l’essai. Autrement dit, bien que les symptômes, objectivement, diminuent, aucun mieux-être subjectif significatif n’a été rapporté par les intéressés, notamment sur le plan de leur vie familiale et de leurs responsabilités domestiques.

Les auteurs ont défini (une fois l’essai lancé, ce qui en affaiblit la portée) la « réponse thérapeutique » comme une baisse de 25 % du score d’obsession-compulsion de Yale-Brown, et de 25 % d’amélioration du score de fonctionnement global à la GAF. En appliquant une telle définition restrictive, 6 sujets sur 8 (75 %), au terme des trois premiers mois de stimulation effective, peuvent être considérés comme des « répondeurs ». Cette proportion tombe à 3 sur 8 chez ceux qui n’ont été stimulés de façon active que durant la seconde partie du crossover. A noter que trois sujets pseudo-stimulés en première partie de l’essai ont eux aussi « répondu », si l’on s’en tient à de tels critères. Un effet d’anticipation positive, d’autant plus marqué que l’on se trouve proche de l’intervention, semble bien se confirmer.

En ce qui concerne la vérification radio-anatomique du bon positionnement des électrodes, sur les 32 électrodes implantées (à raison de 2 par patient), 4 électrodes chez 4 patients différents n’étaient pas en place : une seule électrode stimulait la cible visée en pareil cas. Aucune indication n’est fournie sur les conséquences cliniques éventuelles de telles variations anatomiques.

  1. Effets indésirables

De nombreux effets indésirables ont été signalés tout au long de l’essai. En fonction de leur gravité, ils ont été classés en effets indésirables graves en cas d’hospitalisation nécessaire, de séquelle définitive ou simplement parce que jugés cliniquement graves, et en effets indésirables dépourvus de gravité dans tous les autres cas.

15 effets indésirables graves ont été observés, chez 11 patients, dont 4 directement liés à la technique chirurgicale. Un patient a fait une hémorragie cérébrale laissant pour séquelle une paralysie de la main. Un autre, un trouble de la coordination et une diplopie, avec œdème au niveau des électrodes. A deux reprises les complications infectieuses ont conduit au retrait du stimulateur. Trois patients ont présenté un état d’excitation, deux autres une décompensation anxieuse, un autre des dyskinésies impulsives, un autre une asymétrie faciale accompagnée d’une dysarthrie, d’une dysphagie et d’un trouble de la marche – tous accidents induits par la stimulation, pour lesquels il a fallu procéder un ajustement des paramètres. Des effets indésirables graves se sont aussi produits durant la stimulation simulée : un sujet a fait une décompensation anxieuse, un autre deux décompensations dépressives successives avec des idées suicidaires.

Rappelons qu’en moyenne, lorsqu’elle est utilisée dans le traitement de la maladie de Parkinson (où l’on dispose de séries de cas opérés beaucoup plus grandes avec surtout plus de recul), la stimulation cérébrale profonde entraîne, selon les études, de 1 à 15 % de complications infectieuses et de 1 à 7,5 % de complications hémorragiques – ce qui n’est nullement négligeable en soi et conduit à peser très soigneusement les bénéfices escomptés au regard des risques encourus (5, 6).

Un total de 23 effets indésirables sans gravité a été enregistré chez 10 patients, la plupart du temps au cours des stimulations : dyskinésie, excitation avec irritabilité et impulsivité, manie euphorique, anxiété, dépression, obsessions, vertige. Tous ces incidents sont rentrés dans l’ordre spontanément ou après le réglage de la stimulation. Un diabète, pour sa part irréversible, s’est déclenché chez un patient en stimulation active.

Les évaluations neuropsychologiques n’ont mis en évidence aucun impact cognitif significatif.

  1. Commentaire

L’effet d’ordre de traitement est manifeste : le bénéfice symptomatique est à la fois plus grand et plus fréquent chez les patients ayant bénéficié en premier de la stimulation active. Mais même pour la séquence du crossover qui se révèle la moins favorable (stimulation fictive d’abord, réelle ensuite), l’amélioration atteint un niveau significatif. L’efficacité de la technique paraît donc incontestable. Ce qui n’empêche ni les effets placebo ni les effets nocebo (ou « paradoxaux » ?) d’être proéminents : un patient amélioré au point que toutes ses obsessions et compulsions disparaissent alors qu’il n’est pas stimulé, deux patients fortement aggravés par les stimulations.

L’activité thérapeutique de la stimulation cérébrale profonde paraît bien se distinguer d’un effet antidépresseur : aucune variation significative de l’humeur n’a été enregistrée. Les scores de la MADRS, en particulier, sont restés stables pendant toute la durée de l’essai.

Une autre essai récent de stimulation cérébrale profonde du TOC, d’un design proche mais réalisé en ouvert et prolongé trois ans, a lui aussi mis en évidence une amélioration des scores de Yale-Brown, un peu moins prononcée en moyenne (7). Il paraît donc licite de s’interroger : l’action des stimulations s’atténue-t-elle à la longue ? L’effet de « nouveauté expérimentale » n’est-il pas prédominant au début ? Encore une fois, les résultats publiés sont trop préliminaires pour pouvoir trancher. Ce qui semble acquis en revanche, c’est que l’effet n’est pas propre à la cible qui a été retenue par les auteurs : l’étude précitée a obtenu des résultats comparables en stimulant le striatum ventral (7).

L’absence d’impact des stimulations sur le fonctionnement cognitif rapportée par les auteurs paraît plutôt inhabituelle. Dans les cas de maladie de Parkinson implantés, sans induire de déclin cognitif global, les stimulations affectent de façon régulière l’ensemble des performances frontales (fluence verbale, mémoire de travail, vitesse de traitement, etc.) (5, 8).

15 patients sur les 16 enrôlés n’avaient pas travaillé depuis des années. Là encore, au regard de la brièveté de l’essai (3 mois de stimulation effective à peine), il serait vain d’escompter la reprise d’une activité normale à ce stade. Il faudra attendre de pouvoir examiner les évaluations qui devraient faire suite à ces résultats préliminaires (en espérant que les auteurs voudront bien les publier, même si elles s’avèrent décevantes…) pour en savoir plus sur ce point.

Un autre aspect de l’étude retient l’attention, le fait que la plupart des patients enrôlés aient vu leur TOC démarrer très tôt dans la vie. Pour 13 patients sur les 16 retenus, il a commencé avant la vingtième année. On n’est manifestement pas ici, comme dans le cas de la maladie de Parkinson qui a inspiré les auteurs, en présence d’une affection dégénérative. Quelle qu’en soit l’étiologie (et l’on suspecte qu’il y a en plusieurs, de très différentes), le TOC de ces patients s’est installé précocement, le plus souvent durant l’enfance (avant douze ans pour la moitié), évoquant une pathologie de type neuro-développemental. Cela suppose, sur le plan neuropsychologique, une habituation précoce, par conséquent profonde, des opérations de la pensée aux conditions du parasitage obsessionnel, ou de ce qui, en amont, le détermine. Il est possible que cette contrainte exercée de longue date sur le fonctionnement mental explique qu’ait été constatée une amélioration des symptômes les plus apparents sans amélioration concomitante du vécu subjectif à ce stade. Désinhiber brusquement un comportement singulier ne se traduit pas forcément par la transformation de fond en comble immédiate du comportement global dans lequel il s’intègre. Bien des aspects de la vie de ces patients pourront peut-être changer à la suite d’une telle expérimentation. Mais il faudra une analyse beaucoup plus fine de leur expérience à la fois subjective et pratique pour être en mesure de l’apprécier.

  1. Conclusion

Pour résumer, tout ce que l’on peut dire, pour l’instant, c’est qu’il y a bien un effet positif des stimulations sur les symptômes les plus apparents du TOC, mais que le prix à payer en termes d’effets secondaires est plutôt onéreux. Il pourrait s’avérer excessif si l’efficacité des stimulations se voyait révisée à la baisse avec le temps. Dès à présent, l’absence d’amélioration subjective laisse planer un doute sur le bénéfice retiré par les patients d’interventions aussi risquées. Attendons la suite pour mieux en juger, mais ce point d’ores et déjà doit focaliser l’attention. Il semble en tout cas prématuré d’évoquer « la possibilité de mener une existence normale », comme le déclare l’auteur principal de l’étude dans une interview donnée à un hebdomadaire à sensations (8).

REFERENCES

  1. NTD 2003 ; 23 : 13-23 (www.neuropsychiatrie.fr).
  2. NTD 2007 ; 31 : 15-17 (www.neuropsychiatrie.fr).
  3. Mallet L., Polosan M., Baup N. et coll. Subthalamic Nucleus Stimulation in Severe Obsessive-Compulsive Disorder. New Engl J Med 2008 ; 359 : 2121-2134.
  4. Mallet L., Schüpbach M., N’Diaye K. et coll. Stimulation of subterritories of the subthalamic nucleaus reveals its role in the integration of the emotional and motor aspects of behavior. PNAS 2007 ; 104 : 10661-10666.
  5. Deuschl G. Neurostimulation for Parkinson Disease, JAMA 2009 ; 301 : 104-105.
  6. Piascki SD, Jefferson JW. Psychiatric complications of deep brain stimulation for Parkinson’s disease. J Clin Psychiatr 2004 ; 65 : 845-849.
  7. Greenberg B.D., Malone D.A., Friehs G.M. et coll. Three-year outcomes in deep brain stimulation for highly resistant obsessive-compulsive disorder. Neuropsychopharmacology 2006 ; 31 : 2384-2393.
  8. Witt K, Daniels C, Reiff J & al. Neuropsychological and psychiatric changes after deep brain stimulation for Parkinson’s disease: a randomised, multicentre study The Lancet Neurology, 2008 ; 7 : 605-614.
  9.    Paris Match, décembre 2008, p. 144.

Mots clés : TOC ; stimulation cérébrale profonde ; neurochirurgie

Thématiques : TOC