Neuroleptiques : les femmes diffèrent des hommes

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2005 ; 26.

Nos confrères américains se montrent soucieux de concilier l’égalité démocratique avec le respect des différences. Hommes et femmes sont égaux, mais, on le sait, ils sont aussi différents. Doit-on en déduire, par exemple, qu’ils ne réagissent peut-être pas de le même manière aux neuroleptiques ? Qu’il convient de suivre des précautions particulières dans leur maniement, en fonction du sexe de l’intéressé(e) ? Existerait-il une pharmacocinétique féminine et une pharmacocinétique masculine des antipsychotiques ? Quand on s’attaque aux différences sexuelles, beaucoup de questions se posent. Une revue générale de la littérature de l’American Journal of Psychiatry s’efforce de répondre à un certain nombre d’entre elles à propos des traitements neuroleptiques, sous l’œil vigilant de l’association américaine des psychiatres féministes. On y découvre des informations intéressantes, et pas mal d’inconnues. Etudier l’effet des médicaments en fonction du sexe n’a pas encore été inscrit au cahier des charges des essais cliniques. Les données dont on dispose sont donc, pour la plupart, rétrospectives, et surtout indirectes.

            Les neuroleptiques sont des molécules lipophiles. Le corps féminin contenant en moyenne 25% de tissu adipeux de plus que le corps masculin, faut-il en conclure qu’à posologies égales, les femmes stockent 25% de neuroleptiques en plus ? Qu’il faut en tenir compte dans le calcul des dosages, l’estimation des demi-vies, la fréquence des prises ? Il semble que oui, et bien que ces aspects n’aient pas été étudiés de façon systématique, il est préférable d’avoir la main posologique leste lorsqu’on traite une femme. Le problème se pose, notamment, pour les neuroleptiques retard qui tendent à s’accumuler d’une injection à l’autre. Une fois l’équilibre clinique atteint sous ces formes galéniques, il est instamment recommandé de pratiquer des posologies plus faibles que chez les hommes, avec des intervalles d’injection plus espacés.

            Quant aux effets secondaires ? Les dystonies aiguës ne sont pas moins fréquentes chez les femmes que chez les hommes. Ceux-ci recevant, en moyenne, des posologies neuroleptiques plus élevées, du fait semble-t-il de leurs tendances agressives plus marquées (on n’échappe pas à sa testostérone), il est permis d’en inférer que les femmes sont plus sensibles aux accidents extra-pyramidaux aigus. Pour les dyskinésies tardives, les données demeurent plus controversées. Les femmes âgées ont longtemps été tenues pour payer un lourd tribut à ces complications stigmatisantes. Plusieurs études récentes concluraient cependant que ce seraient surtout les hommes. En fait, c’est la sévérité des dyskinésies tardives qui paraît la plus accentuée chez les femmes.

D’une manière générale, si les effets secondaires semblent également représentés dans les deux sexes, leur gravité est toujours plus prononcée chez elles. C’est le cas par exemple d’un effet secondaire particulièrement rare et assez peu connu des neuroleptiques qui possèdent une affinité 5-HT2A (la rispéridone par ex.), les embolies pulmonaires. On constate que leur pronostic s’avère toujours plus sévère quand elles se produisent chez une femme.

Autre différence à prendre en considération, les femmes ont un espace QT plus long que les hommes. Cela devrait inciter à plus de retenue dans le maniement de certains produits réputés l’allonger (thioridazine, pimozide, halopéridol, etc.), notamment en urgence, sous peine de torsades de pointe fatales.

            Gravité à part, certains effets indésirables prennent un sens plus important pour un sexe que pour l’autre. Du manière générale, les hommes se montrent avant tout préoccupés par tout ce qui porte atteinte à leurs performances sexuelles. Les femmes quant à elles sont davantage soucieuses de leur apparence corporelle. La prise de poids est donc une inquiétude plus grande pour elles. A ce point de vue, les nouveaux antipsychotiques (l’olanzapine notamment) leur posent davantage de problèmes. Il se pourrait d’ailleurs que les femmes soient plus exposées que les hommes aux complications métaboliques (diabète, hyperlipidémies, etc.) qu’engendrent les atypiques. Va-t-on assister à une épidémie, décalée dans le temps, de diabètes, infarctus, AVC, etc., chez les femmes traitées par ces produits ? En attendant d’en savoir plus, il paraît prudent de surveiller attentivement le régime ainsi que tout signe clinique et biologique d’intolérance métabolique pendant leur emploi. De même les femmes sont-elles plus exposées que les hommes au risque d’hyper-prolactinémie, avec toutes les complications qui en découlent. Certaines revues de la question citent des estimations du taux d’aménorrhée sous neuroleptiques avoisinant les 80%. L’hyper-prolactinémie chronique se complique, entre autres, d’ostéoporose, par un mécanisme d’hyper-oestrogénisme secondaire. Autant surveiller son absence lors des traitements neuroleptiques au long cours, le prix à payer après la ménopause pourrait s’avérer plus lourd que prévu (fractures, tassements, etc.).

            La grossesse et l’allaitement posent d’autres problèmes. Risque tératogène, interférence avec le travail lors de l’accouchement, passage dans le lait maternel sont connus, sans que l’on dispose de données très précises à leur sujet, vu le nombre de molécules différentes prescrites et la complexité des facteurs en jeu. L’essentiel est de se rappeler que tous les neuroleptiques passent la barrière placentaire, que tous se retrouvent, plus ou moins, dans le lait. Deux études récentes, qui totalisent plus de quatre mille naissances chez des mères traitées pour une schizophrénie, ont conclu à une augmentation significative des risques de fausse-couche, de mort fœtale in utero, de malformations congénitales, de prématurité, d’hypotrophie à terme, de ralentissement du travail, de scores d’APGAR abaissés à la naissance, de mort subite du nourrisson enfin. D’innombrables paramètres liés à la maladie psychotique, à ses déterminants comme à ses conséquences sur le mode de vie durant la grossesse jouent à l’évidence un rôle inextricable dans de telles complications. Mais on ne saurait exclure celui des traitements neuroleptiques. Aussi les experts recommandent-ils d’éviter au maximum toute prescription de neuroleptiques pendant la grossesse, en particulier de la 6ème à la 10ème semaines, ou d’accorder la préférence aux produits pour lesquels on dispose du plus de recul quand cela est inévitable. Les posologies se doivent d’être les plus faibles possibles à l’approche de l’accouchement, afin de ne pas ralentir le rythme du travail, pour être relevées durant le post-partum, période où le risque de rechute psychotique est maximal. Pour l’allaitement, éviter les neuroleptiques est là encore recommandé, dans la mesure du possible. Lorsque ce n’est pas envisageable, la préférence sera accordée aux produits qui passent le moins. Une règle simple a pu être proposée, qui consiste à ne choisir que le produit dont la concentration au niveau du lait maternel demeure inférieure à 10% de sa posologie lorsque celle-ci est ajustée au poids de l’enfant. L’olanzapine (entre autres) satisferait à un tel critère. Mais une autre solution plus radicale est le plus souvent préconisée par les pédiatres, celle de renoncer à l’allaitement. Il vaudrait pourtant la peine d’étudier les effets de celui-ci sur l’état psychologique des mères présentant une vulnérabilité psychotique. Le bien-être retiré d’un allaitement réussi pourrait-il leur être profitable ? Les psychiatres sont obligés de reconnaître qu’ils disposent plus d’idées reçues que de données testées pour répondre à une telle question. Et les pédiatres ?

Seeman MV. Am J. Psychiatry 2004 ; 161 : 1324-1333.