Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2007 ; 30.
La schizophrénie est-elle une affection criminogène ? Ses représentations sociales sont telles que le public en est intimement persuadé. Mais les épidémiologistes peinent à le montrer, la question a été déjà évoquée dans ces pages (1). Une récente étude, qui a le mérite d’être d’envergure nationale, ce qui lui confère plus de poids qu’aux autres, permet d’apprécier un peu mieux la dimension réelle du problème (2). Ses auteurs ont analysé tous les homicides qui ont été commis en Angleterre et au pays de Galles entre 1996 et 1999. Soit un total de 1594 homicides, en rangeant sous cette dénomination générale « d’homicide » les meurtres, les assassinats et les infanticides. Toutes les expertises psychiatriques demandées (elles sont en fait systématiques en cas d’homicide), que soit pendant l’instruction ou pour le procès, ont été soigneusement revues, afin de déterminer s’il existait chez l’auteur un éventuel trouble mental, en s’appuyant sur l’histoire clinique, l’existence de symptômes évocateurs pendant le crime, les antécédents psychopathologiques, un verdict de responsabilité atténuée en raison d’une altération du discernement au moment des faits, une injonction de soins psychiatriques prononcée par les juges.
Quels sont les principaux résultats de cet important travail ? Tout d’abord, un constat qui n’est pas nouveau, ce sont les hommes qui tuent. 9 crimes sur 10 sont perpétrés par un individu du sexe fort. L’égalité des sexes a manifestement encore quelques progrès à accomplir…L’âge moyen du criminel est de 27 ans (de 10 à 77 ans). Dans 36% des cas, sa victime est un proche : parent ou partenaire. Dans 39%, une connaissance ; dans 25% un étranger. La méthode la plus fréquemment employée est l’arme blanche : 37% des cas (on n’est pas aux Etats-Unis, mais au Royaume-Uni, pays qui interdit le port d’armes).
Quelle est la part de la psychiatrie dans cette violence macabre ? En gros, un tiers des homicides (34% exactement) sont le fait d’individus souffrant d’un trouble mental, à un moment ou un autre de leur vie. La pathologie la plus fréquente ? Ce sont les troubles de la personnalité, lesquels culminent à 9%. Ils sont suivis par l’alcoolisme (7%), les troubles de l’humeur (7%), les toxicomanies (6%).
Et la participation de la schizophrénie dans tout cela ? Elle n’arrive qu’en dernière position. 5% des crimes commis seulement lui sont associés. Pour la moitié d’entre eux, aucun contact avec un service de soins psychiatriques n’avait eu lieu avant que le crime ne soit perpétré. Ce qui devrait alléger d’autant la responsabilité des psychiatres dans la prévention de tels drames. Chez un tiers des criminels souffrant de schizophrénie, le crime est commis dans un état psychique perturbé. D’une manière générale, lorsqu’on étudie l’état mental du meurtrier au moment des faits, seuls 10% des criminels se trouvent manifestement dans un état anormal. 6% d’entre eux étaient dans un état dépressif, 5% dans un état psychotique, toutes causes confondues. Presque tous ceux qui traversent un moment psychotique – délire, hallucinations, etc. – ont, à un moment ou un autre de leur vie, eu un contact avec la psychiatrie. En revanche, les crimes commis au cours d’une dépression sont le fait d’individus qui n’ont, pour la plupart, jamais rencontré de psychiatre.
Quel est le verdict en cas de schizophrénie avérée ? Le plus souvent, ces sujets se voient reconnus une responsabilité atténuée et/ou la nécessité de soins en milieu spécialisé. Point intéressant, ceux dont la responsabilité est reconnue diminuée par les juges sont le plus souvent des femmes, des sujets dépourvus d’antécédent violent, ou encore des criminels qui manifestement étaient la proie d’un état hallucinatoire au moment des faits.
En bref, on peut retenir que la schizophrénie est moins criminogène que la dépression ou que l’alcoolisme. Curieusement ce n’est du tout l’image qui circule. La dépression en particulier passe pour beaucoup moins violente que la schizophrénie. Il est vrai que nous nous identifions plus aisément à la dépression, ou à l’ivresse alcoolique, qu’à la schizophrénie. Celles-là paraissent tôt ou tard pouvoir être notre lot, tandis que celle-ci reste l’affaire du « tout autre », de « l’étrange » dont foncièrement nous pensons différer. Comme la violence, en quelque sorte. Et pourtant la violence est plus souvent le fait de la dépression, et de l’alcool, que de la schizophrénie. Il serait temps que nous nous en convainquions et que nous en convainquions les autres. (Alain Bottéro)
(1) Neuropsychiatrie : Tendances & Débats 2006 ; 28 : 41.
(2) Shaw J, Hunt IM, Flynn S & coll. Br J Psychiatr 2006 ; 188 : 143-147.