Qu’est-ce qui est violent, la schizophrénie ou ce qui l’accompagne ?

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2006 ; 28.

Chaque fois qu’un crime odieux est commis par un sujet passé par nos services ressort l’antienne d’une violence schizophrénique. La schizophrénie agressive per se ? La plupart des psychiatres qui soignent, au jour le jour, les patients atteints d’une telle affection ne le voient pas de cet œil. Pour eux, ces patients sont avant tout fragiles. Ils craignent par dessus tout de se faire remarquer, de commettre des actes répréhensibles, et consacrent beaucoup de leurs efforts à passer inaperçus. Mais les vieux poncifs sur la maladie mentale ont la vie dure. La schizophrénie n’a-t-elle pas hérité du statut de folie par excellence ? De la folie la plus « étrange », celle qui nous angoisse et dont nous redoutons le pire : son caractère imprévisible, un jour ou l’autre forcément dangereux ?

Les « crimes schizophréniques » font couler beaucoup d’encre. Mais quand on en décortique minutieusement les circonstances, le plus souvent aucune spécificité schizophrénique ne transparaît. Ce sont des crimes qui s’expliquent par les motifs les plus habituels : la haine tenace, la jalousie, l’impulsivité irréfléchie, des mobiles très prosaïques tels que l’intérêt, le vol, la frustration sexuelle. Et l’on y retrouve fréquemment à l’œuvre les ingrédients les plus connus de l’agressivité sociale que sont une enfance marquée par la violence et la transgression, des conditions de vie socio-économiques précaires, un abus de substance désinhibitrices (crack, alcool, etc.). Une récente étude de psychiatrie légale finlandaise vient nous renseigner un peu plus sur ce dernier aspect du problème (1).

Un échantillon, représentatif au plan national, de 90 hommes ayant commis, ou tenté de commettre, un homicide et diagnostiqués atteints d’une « maladie psychotique sévère » a été analysé en croisant l’ensemble des informations cliniques obtenues à leur interrogatoire, celui de leurs proches, ainsi que l’étude des documents médicaux disponibles.

78% s’avèrent atteints de schizophrénie, 17% d’un trouble schizo-affectif. Les 5% restant répondent à la qualification, plutôt vague, de « psychose d’autre origine ». Les auteurs se sont avant tout intéressés aux « co-morbidités » en présence. 74% des patients étaient des consommateurs réguliers d’une ou de plusieurs substances psycho-actives : 72% de l’alcool, 36% d’une autre drogue, 34% de l’alcool et d’une autre drogue. L’association à un « trouble de la personnalité antisociale » est, elle aussi, prédominante : elle est présente dans un cas sur deux. Et tous les sujets qui présentaient un trouble de la personnalité étaient des consommateurs réguliers de toxiques.

Au total, dans cet échantillon de criminels psychotiques qui paraît quelque peu biaisé à l’encontre de la schizophrénie (l’absence complète de trouble bipolaire avec caractéristiques psychotiques étonne), moins d’un quart se trouvent être des sujets atteints d’une schizophrénie pure. C’est peu. On aimerait maintenant que les auteurs approfondissent leur travail en s’intéressant au contexte psychologique et social dans lequel sont survenus les homicides en question. Quelles conditions socio-affectives ont présidé à l’enfance de leurs auteurs ? quels mobiles ont finalement été retenus, à l’issue de l’instruction ? Deux points qu’il importerait d’élucider avant de mettre en avant une violence « typiquement schizophrénique ».

  • Putkonen A, Kotilainen I, Joyal CC, Tiihonen J. Schizophr Bull 2004 ; 30 : 59-72.