Association de neuroleptiques : une étude cas-témoins

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2006 ; 28.

Associer deux ou plusieurs neuroleptiques est une pratique clinique courante. Si elle a été longtemps prônée en France par des considérations, d’ordre surtout théorique, sur l’intérêt de combiner des propriétés thérapeutiques qui diffèreraient d’une molécule à l’autre (du genre effet « sédatif » + effet « désinhibiteur », ou « ataraxique » + « antiproductif », ou encore « polyvalent » + « incisif », etc.), si elle trouve à se justifier aujourd’hui en faisant valoir une « résistance » clinique, force est de reconnaître que l’on dispose de très peu de travaux qui se soient attachés à en évaluer objectivement les bénéfices thérapeutiques. D’où la valeur des rares études publiées sur la question. Ia dernière en date est une étude rétrospective de type cas-témoins, qui a été conduite sur l’ensemble des observations de patients hospitalisés pour un état psychotique, trois mois à la suite, dans le département de psychiatrie de l’Hôpital McLean à Belmont (Harvard Medical School, Mass.) (1).

70 patients ayant reçu deux neuroleptiques ou plus durant leur séjour ont été identifiés. Ils ont été appariés avec 70 autres patients, hospitalisés à la même période pour le même motif, mais n’ayant reçu qu’un seul neuroleptique à la fois. Toutes les posologies ont été converties en mg-équivalents de chlorpromazine par jour, afin de faciliter les comparaisons (soit un reflet grossier de l’activité anti-dopaminergique déployée).

Que constate-t-on ? D’abord la variété des neuroleptiques prescrits, qui ne sont pas que des « nouveaux » : olanzapine (46%), quétiapine (34%), rispéridone (19%), halopéridol (16%), perphénazine (16%), clozapine (6%), thioridazine (4%), chlorpromazine (4%), fluphénazine (4%), thiothixène (3%), et loxapine, prométhazine et trifluoropérazine (4% en tout). (A noter, pour remettre ces données dans leur contexte, que la période considérée remonte à l’année 1998, et que le service en question est une service universitaire, à la pointe de l’innovation thérapeutique.)

Si les posologies pratiquées en début d’hospitalisation sont quasiment les mêmes pour les deux groupes étudiés, la dose moyenne totale de neuroleptiques reçue au cours du séjour est tout de même 78% plus importante en cas de polythérapie neuroleptique. La durée de séjour est multipliée par deux chez les patients qui y sont soumis. Leur pourcentage d’effets secondaires est 56% plus élevé (effets extra-pyramidaux en premier lieu), tandis que leurs scores d’amélioration clinique apparaissent identiques à ceux observés sous monothérapie (dans les 11% à peine). Ce dernier résultat étant calculé après ajustement en fonction de l’âge, du sexe, du diagnostic et des scores initiaux obtenus à deux échelles cliniques standards (la CGI, le GAF). Dans les deux groupes, les autres traitements co-administrés ne différaient pas statistiquement.

Un trait intéressant : les patients qui reçoivent une association de neuroleptiques débutent leur maladie en moyenne quatre ans plus tôt que les autres. Même si ce point suggère fortement que les patients pour lesquels on recourt plus facilement à une association de neuroleptiques sont plus gravement malades, les inconvénients d’une telle pratique l’emportent nettement sur ses avantages. Bien entendu, l’étude présente la faiblesse d’être rétrospective. Elle ne permet nullement d’écarter l’hypothèse qu’une sélection des patients les plus résistants s’opère, qui conduit à forcer le traitement en multipliant les neuroleptiques. Mais au vu de la durée moyenne de séjour – une vingtaine de jours -, l’hypothèse la plus vraisemblable reste que l’impatience des thérapeutes prime. Celle-ci est souvent mauvaise conseillère. La précipitation à additionner les neuroleptiques se traduit par une détérioration de la tolérance des patients, sans bénéfice thérapeutique substantiel. En matière de neuroleptiques aussi, patience et longueur de temps font plus que force ni que rage.

(1) Centorrino F, Goren JL, Hennen J & coll. Am J Psychiatr 2004 ; 161 : 700-706.