Neurosyphilis : le retour ?

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2005 ; 26.

Il fut un temps où la paralysie générale faisait office de grande pourvoyeuse des asiles. On a pu ainsi estimer qu’à la fin du dix-neuvième siècle, non moins de la moitié des hommes hospitalisés en HP pouvaient en être atteints. La généralisation des antibiotiques devait entraîner la progressive disparition de ceux que l’on appelait les « vérolés » des services d’aliénés, avec un délai d’une vingtaine d’années, vraisemblablement en rapport avec la latence propre aux manifestations cérébrales de la syphilis tertiaire. Devenue exceptionnelle, la neurosyphilis ne concerne plus aujourd’hui qu’une fraction très particulière de la population, les sujets immuno-déprimés (complications du SIDA, etc.). Si bien que l’on songe de moins en moins à la dépister dans la pratique courante, notamment en psychiatrie. Pourtant, depuis quelques années, le Centre américain de surveillance et prévention des maladies infectieuses d’Atlanta n’a de cesse de tirer l’alarme en signalant une recrudescence des cas de syphilis primaire détectés dans la population générale. Va-t-on assister au retour, avec un certain décalage, d’autant de syphilis tertiaires dans les HP ? C’est la question que se posent des collègues psychiatres de Caroline du Nord qui viennent d’être confrontés, coup sur coup, à trois cas de syphilis cérébrale, après un long oubli d’un tel diagnostic dans leur hôpital. Trois cas en une année, pour un HP de secteur accueillant en moyenne trois mille nouveaux patients par an, cela approche une incidence à prendre au sérieux. Le détail des trois observations en question mérite d’être examiné.

Il s’agissait d’une femme de 46 ans, et de deux hommes de 47 et 52 ans, qui avaient été hospitalisés en raison d’un banal tableau de confusion mentale délirante, plus ou moins agitée, incompatible avec le maintien de leur autonomie. L’un d’eux présentait des antécédents de toxicomanie, les deux autres un alcoolisme marqué, antécédents qui à chaque fois pouvaient rendre compte à eux seuls du tableau et égarer le diagnostic. Aucun signe d’appel en faveur d’une syphilis n’était recensé : oubli du contage, absence d’immuno-dépression, pas d’Argyll Robertson. Un cas seulement présentait des symptômes neurologiques concomitants, sous la forme d’une ataxie et d’une dysarthrie isolées et guère spécifiques, d’interprétation malaisée dans le contexte confusionnel. Dans les trois cas, le diagnostic a pu être orienté grâce à un test RPR de routine revenu positif (Rapid Plasma Reagine, une variante améliorée du VDRL), pour se voir confirmé par la ponction lombaire. Le traitement standard par la pénicilline n’a permis qu’une très modeste amélioration des fonctions cognitives, comme c’est en général le cas à ce stade de lésions irréversibles du parenchyme cérébral. L’aggravation du tableau a néanmoins pu être enrayée. Principale leçon qu’il convient de retenir de ces trois observations : le dépistage systématique de la syphilis reste d’actualité en présence d’un premier épisode de délire plus ou moins confus, passée la quarantaine.

 

Saik S, Kraus JE, McDonald A, Mann AG, Sheitman BB. J Clin Psychiatry 2004 ; 65 : 919-921.