Effets secondaires dopaminergiques des ISRS

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2005 ; 26.

La généralisation de l’usage des antidépresseurs inhibant sélectivement la recapture de la sérotonine (les fameux ISRS) a rendu plus visibles certains de leurs effets indésirables, au départ considérés comme rares ou inexistants. Une récente revue de la littérature attire l’attention sur plusieurs d’entre eux habituellement laissés dans l’ombre, en proposant de les regrouper en raison de leurs mécanismes communs, qui seraient tous, peu ou prou, de nature dopaminergique. Un tel regroupement prête certainement à discussion. Est-il si justifié ? A-t-on la preuve, pour chaque effet indésirable considéré, d’un mécanisme dopaminergique prépondérant ? Rien n’est moins sûr tant les divers systèmes de neurotransmission paraissent inextricablement mêlés dans leur déterminisme. Mais la tentative vaut la peine d’être prise en compte : ne serait-ce qu’en éclairant sous un jour nouveau plusieurs types d’effet secondaire des ISRS, elle nous incite à y prêter une plus grande attention clinique.

Desquels s’agit-il ? Il y a tout d’abord les effets extrapyramidaux. De nombreuses publications ponctuelles les signalent régulièrement. Ils seraient, en fin de compte, beaucoup plus fréquents qu’on ne le pense : bradykinésie, rigidité extrapyramidales, akathisie, dystonies aiguës, dyskinésies tardives. L’akathisie, comme toujours souvent méconnue, ou confondue avec l’état d’angoisse qui la caractérise, conduit à s’interroger sur son rôle dans les passages à l’acte impulsifs (raptus auto- ou hétéro-agressifs) dont ces antidépresseurs sont depuis longtemps incriminés. Une inhibition sérotoninergique du système dopaminergique, autrement dit un mécanisme d’action indirect, en serait à l’origine.

L’hyperprolactinémie elle aussi est une complication assez courante des ISRS. Tous les produits actuellement commercialisés sous cette étiquette ont tour à tour été mis en cause. La stimulation sérotoninergique déclenche une libération de prolactine au niveau de l’hypothalamus. Elle a d’ailleurs été mise à profit pour élaborer un test d’exploration de la sécrétion de la prolactine, le test à la fenfluramine. Le mécanisme d’action le plus probable relèverait d’une inhibition présynaptique de la libération de dopamine, sous la dépendance des récepteurs sérotoninergiques. L’hyperprolactinémie des ISRS passe le plus souvent inaperçue cliniquement, mais il n’est pas rare d’en observer les conséquences : aménorrhée, tension mammaire, galactorrhée. Le risque de survenue cette dernière, notamment, serait multiplié par un facteur huit sous ISRS.

Autre effet indésirable peu connu qui concerne aussi la glande mammaire, l’hypertrophie mammaire et son équivalent chez les hommes, la gynécomastie. Sa relation avec les effets pré-cités sur la prolactine n’est pas très claire. Mais l’imputation des ISRS est certaine : l’arrêt du traitement s’accompagne d’une normalisation de l’hypertrophie.

Les troubles sexuels des ISRS sont quant à eux beaucoup plus connus. Baisse de la libido, impuissance, anorgasmie, troubles de l’éjaculation, etc. sont monnaie courante. Les mécanismes de ces effets sexuels indésirables sont très variés, mais il est indéniable que nombre d’entre eux trouvent une explication dans l’inhibition dopaminergique.

Enfin, il ne faut pas oublier que ces produits provoquent de façon plus subtile tout un ensemble de perturbations cognitives : baisse de la vigilance, troubles de l’attention, de la concentration, etc. L’implication d’une réduction de l’activité dopaminergique pourrait là aussi être en cause.

Damsa C, Bumb A & coll. J Clin Psychiatry 2004 ; 65 : 1064-1068.