Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2005 ; 26.
On ne compte plus les publications d’imagerie cérébrale mettant en cause une altération des structures temporales dans les schizophrénies. La majorité des mesures de la circonvolution temporale supérieure et du planum adjacent, par exemple, concluent à leur rétraction significative. Les deux aires sont par ailleurs régulièrement décrites à l’imagerie fonctionnelle comme le lieu d’une activation spécifique durant les phases d’hallucinations auditives. Ce second résultat n’a en soi rien d’étonnant : que les aires auditives fonctionnent quand on entend des voix est plutôt dans l’ordre des choses. Le premier en revanche conduit à s’interroger sur l’intégrité du cortex temporal. Mais alors que les psychiatres s’adonnent avec un évident plaisir aux joies de l’imagerie cérébrale (discipline à « forte valeur ajoutée » s’il en est), ils semblent beaucoup moins priser les austérités de la science neuro-pathologique. En résulte un déséquilibre flagrant entre la profusion des publications d’imagerie censées mettre en évidence les anomalies cérébrales des schizophrénies et la rareté des travaux qui explorent, pas à pas, leurs sous-bassements histologiques, déséquilibre qui n’est pas sans concourir à entretenir une certaine confusion entre hypothèses d’ordre radiologique et confirmations anatomo-pathologiques. Il faut reconnaître que réunir des cerveaux pour réaliser une étude post-mortem n’est pas une mince affaire. A côté des difficultés techniques (méthodes de conservation, circonstances des décès et leurs conséquences sur la qualité des tissus obtenus, etc.), les obstacles éthiques ont tout pour décourager les initiatives. C’est dire l’intérêt que présente, pour les psychiatres, la banque de cerveaux qui a été récemment mise à leur disposition par la Stanley Foundation. Permettant de confronter les données de l’imagerie aux réalités cyto-histologiques, cette importante initiative devrait contribuer à mettre un peu d’ordre dans les innombrables spéculations qui ont été émises, ces dernières années, sur la pathogénie des schizophrénies à partir de résultats produits par l’imagerie. Parmi les tout premiers résultats publiés, signalons une étude de la cyto-architecture de la circonvolution de Heschl, qui correspond à la portion postérieure de la circonvolution temporale supérieure (1). Bien que la région soit donc régulièrement décrite comme hypoplasique à l’imagerie, les auteurs concluent que tant son épaisseur que sa densité en neurones pyramidaux et en cellules gliales s’avèrent morphométriquement normales dans leur échantillon de cerveaux de patients atteints de schizophrénie.
Une autre étude s’est focalisée sur une structure clé du lobe temporale qui voit son volume fréquemment décrit comme rétracté dans les schizophrénies par l’imagerie, l’hippocampe (2). Les neuropathologues ne se sont intéressés cette fois qu’à un seul paramètre susceptible de rendre compte des résultats de l’imagerie, la taille des cellules. Là encore les premières conclusions sont négatives : les neurones pyramidaux de toutes les portions de l’hippocampe qui ont été examinées sont de taille normale. Il n’est pas inintéressant de rapprocher ce résultat d’une récente étude d’imagerie, qui montre que la réduction du volume hippocampique observée dans la schizophrénie est corrélée au traitement neuroleptique subi par les patients. Elle est d’autant plus prononcée que celui-ci s’avère dopamino-bloqueur (3). Serait-on en présence d’un artéfact iatrogène ? Il faut attendre la suite, mais d’ores et déjà un peu plus de prudence devrait être de mise dans l’implication systématique d’une pathologie temporale dans la schizophrénie.
(1) Cotter D, Mackay D, Frangou S, Hudson L, Landau S. Br J Psychiatry 2004 ; 185 : 258-259.
(2) Highley JR, Walker MA, McDonald B, Crow TJ, Esiri MM. Br J Psychiatry 2003 ; 183 : 414-417.
(3) Chakos MH, Schobel SA, Gu H & coll. Br J Psychiatry 2005 ; 186 ; 26-31.