Neuroleptiques et mortalité schizophrénique

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2006 ; 29.

Les patients atteints de schizophrénie présentent un excès de mortalité par rapport à la population générale. Le suicide en est une explication, mais elle n’est que partielle. L’excès de mortalité de « causes naturelle », i.e. non suicidaire, est aussi un fait épidémiologique avéré dans les schizophrénies. Parmi ces causes naturelles, les affections cardio-vasculaires sont aujourd’hui en première ligne. Elles risquent de le devenir encore plus, au vu des effets métaboliques des neuroleptiques actuellement à la mode.

Une équipe finlandaise a voulu tirer au clair les causes de cet excès de mortalité non suicidaire des schizophrénies[1]. Ses épidémiologistes ont procédé à partir d’un échantillon de huit mille habitants, parfaitement représentatif de la population finlandaise adulte.

99 sujets atteints de schizophrénie ont été identifiés dans l’échantillon, soit une prévalence ajustée pour l’âge de 1,3%, sans aucune différence de sexe. Toute la population, patients compris, a été soigneusement évaluée d’un point de vue médical, facteurs de risques, antécédents, traitements subis, etc. Et un suivi permanent a été instauré, avec enregistrement de tout décès et de ses causes, sur une période de 17 ans au total. Au bout de ce remarquable follow up, les auteurs ont procédé à un certain nombre de corrélations statistiques, dont une régression logistique, afin de spécifier les facteurs de risque d’une schizophrénie et ceux de sa mortalité.

Le tabagisme, l’obésité sont associés à la schizophrénie, chez l’homme comme chez la femme. En revanche, la maigreur est un facteur de risque de la schizophrénie masculine uniquement, tandis que le diabète ne l’est que pour la schizophrénie féminine.

Quatre décès par suicide ont été enregistrés dans le lot des schizophrénies, ce qui, soit dit en passant, est relativement peu.

Globalement, la mortalité, ajustée pour l’âge et le sexe, des patients atteints de schizophrénie est 3 fois plus élevée que dans la population générale. Un excédent de mortalité qui subsiste après contrôle de l’influence de facteurs de risque de décès prématuré tels qu’un faible niveau d’éducation, le tabagisme, la consommation d’alcool, le manque d’exercice, l’obésité, l’HTA, l’hypercholestérolémie, etc. Elle ne s’explique pas mieux par l’existence d’affections somatiques concourantes.

Le résultat le plus troublant de l’étude est le suivant : plus une schizophrénie reçoit de neuroleptiques, plus son risque de mort prématurée augmente. Par rapport à la population générale, ce risque est à peine multiplié par un facteur 1,29 chez les patients qui ne sont pas traités. Il passe à 3 fois plus chez ceux qui sont sous un neuroleptique, à 3,21 pour deux neuroleptiques et à quasiment 7 fois plus pour trois. L’association décès prématuré x nombre de neuroleptiques se vérifie tout au long du suivi.

L’étude a été conduite entre 1978 et 1995, à une époque où seuls des neuroleptiques « classiques » étaient utilisés. Des produits connus pour prolonger l’espace QT à l’ECG, avec les conséquences que l’on sait. Il n’y a d’ailleurs pas que les torsades de pointe à pouvoir être incriminées dans l’excès de mortalité attribué aux neuroleptiques. Hyperthermie, syndrome malin, thromboses veineuses, embolies pulmonaires, fausses routes des dystonies oro-pharyngées, etc. peuvent aussi bien être en cause. Mais la question principale qui se pose est de savoir pour quels motifs se décide-t-on à recourir à une association de neuroleptiques dans le traitement d’une schizophrénie ? A priori, parce que les symptômes ne répondent pas suffisamment à un seul, que l’état clinique est jugé plus inquiétant. On peut spéculer sur une plus grande mortalité bio-génétique de tels cas. Il est toutefois un fait certain, c’est que les neuroleptiques ont de nombreux effets secondaires et que les additionner n’atténue en rien leur toxicité. Et les « nouveaux  effets secondaires » des « nouveaux neuroleptiques » ne rassurent guère à ce sujet.

[1] Amaa MJ, Ara MH, Knekt P & coll. Br J Psychiatr 2006 ; 188 : 122-127.