Neuro-anatomie de la conduite d’achat

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2008 ; 32.

Le président d’une chaîne de télévision en vue dévoilait récemment le ressort ultime de sa profession. « Ce que nous vendons à Coca-Cola, expliquait-il dans un grand effort de sincérité, c’est du temps de cerveau disponible ». De tels propos ont pu choquer. Ils se voient pourtant largement confirmés par la science. L’imagerie cérébrale fonctionnelle le démontre sans appel, c’est bien le cerveau humain qui constitue l’organe sollicité par la publicité. Et non la rétine, comme le croient encore les annonceurs formés aux connaissances de l’après-guerre. Ou le cœur, comme on le pensait naïvement au 19ème siècle. Chaque jour qui passe, chaque heure même, des progrès substantiels sont accomplis dans l’élucidation des mécanismes du fonctionnement de notre « cerveau consommateur ». Il faut dire que, contrairement à d’autres domaines, les financements ne font pas défaut à ce type de recherches. Toutes les grandes entreprises se préoccupent de savoir comment améliorer rationnelle-ment le rendement cérébral des campagnes publicitaires. Pour cela, il n’y a qu’un seul moyen : la science et rien qu’elle. Soit sponsoriser à qui mieux mieux les travaux d’imagerie fonctionnelle en « neuro-économie », la nouvelle branche porteuse (et fructueuse) des neurosciences. Mais une chose est de confirmer que telle ou telle partie du cerveau s’allume (ou s’éteint) à l’IRM fonctionnelle lorsqu’on visionne un film publicitaire ou les étalages d’un supermarché, une autre est de prédire si un sujet va oui ou non acheter tel ou tel produit en fonction de l’activation observée de ses circuits cérébraux. Là réside le véritable Graal de la neuro-économie. Et l’on peut imaginer combien sa quête doit être acharnée dans certains laboratoires.

Une étape décisive semble avoir été franchie par une équipe associant des chercheurs de Stanford, du MIT et de Carnegie Mellon (1). 26 volontaires ont été enrôlés pour une étude d’imagerie fonctionnelle. Il leur était demandé d’acheter soit une boîte de chocolat Godiva, soit un DVD de la série « Sex and the City », présentés à la suite sur un écran. A chaque session, le « consommable » (c’est le terme technique) était d’abord présenté, puis son prix, lequel variait d’une session à l’autre – chaque étape durant 4 secondes. A la fin, le sujet disposait de 4 secondes supplémentaires pour prendre sa décision d’acheter ou non, en fonction du prix de son choix. Afin que l’expérience se déroule dans des conditions proches de la réalité, deux sessions d’achats tirées au hasard étaient payées de la poche même des sujets. Le tout enregistré en IRM fonctionnelle.

Résultats : le nucleus accumbens (l’une des structures-clé du système de plaisir) est la partie qui s’active le plus lors de la présentation d’un produit convoité. Et son activation est d’autant plus forte que le sujet le désire. Quand le prix s’affiche en revanche, d’autres régions cérébrales se mettent à clignoter. Si le prix est jugé excessif, c’est l’insula (structure connue pour être impliquée dans l’anticipation de la douleur et la réaction aux images choquantes) qui vire au rouge. De même l’insula s’active-t-elle lorsque le sujet renonce à acheter un produit. Le prix active le cortex préfrontal médian, une région impliquée dans le calcul rationnel et l’évaluation des conséquences des décisions. Dans l’expérience, l’activité du cortex préfrontal médian était plus corrélée à la mise en balance du produit et du prix qu’au prix seul. Le sentiment de faire une bonne affaire, par exemple, va de pair avec son activation maximale, laquelle précède souvent la décision d’achat.

Bref, la combinaison gagnante (du point de vue de celui qui vend, s’entend), c’est de réussir à allumer au maximum le nucleus accumbens (désir, plaisir anticipé) et le cortex préfrontal médian (« ça vaut le coup »). Tandis que pour la douleur au portefeuille, c’est l’activité de l’insula qu’il faut surveiller. A quand les applications thérapeutiques maintenant ? La stimulation cérébrale profonde pourrait bien trouver-là une nouvelle extension de ses indications hardies. Une sonde dans l’insula afin de la stimuler ? Finis les « achats compulsifs » !… Une sonde dans le nucleus accumbens ? Cela a déjà été fait chez les rats, et ce n’est pas toujours très beau à voir.

1.               Knutson B., Rick S., Wimmer G.E., Prelec D., Loewenstein G. Neural Predictors of Purchases. Neuron 2007 ; 53 : 147-156.