Maladie d’Alzheimer : les antipsychotiques diminuent l’espérance de vie

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2009 ; 36.

La population vieillit, la fréquence des démences augmente : c’est la rançon apparemment de notre enviable longévité. Avec tout un ensemble de complications psychiatriques à la clé : agitation, agress-ivité, délires et hallucinations sont le lot commun de la maladie d’Alzheimer. La plupart de ces troubles se voient aujourd’hui traités par les antipsychotiques. « A petites doses », est-il bien spécifié dans les manuels de gériatrie, afin de ménager la susceptibilité du dément vis-à-vis de leurs effets secondaires. Reste pourtant un dilemme, que l’on préfère en général esquiver : l’analyse des essais cliniques, les méta-analyses montrent que le recours aux antipsychotiques se paie d’un surcroît de mortalité sur ce terrain. A tel point que la FDA (Food and Drug Administration) a cru bon d’émettre une sérieuse mise en garde sur l’utilisation des antipsychotiques chez le sujet âgé dément, mise en garde que la plupart des laboratoires se sont empressés de relayer pour parer à toute attaque. Mais les essais sur lesquels se fondent ces mises en garde sont de courte durée, 12 semaines à peine, quand les prescriptions sont beaucoup plus longues dans la pratique. Selon les enquêtes épidémiologiques, entre 30 et 60 % des patients âgés hospitalisés en long séjour pour une démence se trouvent sous traitement neuroleptique, pour des durées qui se chiffrent non pas en semaines, mais en années (1-3). D’où l’importance d’apprécier l’excès de mortalité imputable à de telles prescriptions, comme vient de le faire une équipe de gériatres du King’s Collège à Londres (4).

La méthode qui a été choisie est imparable. Deux groupes de patients âgés, hospitalisés en long séjour pour maladie d’Alzheimer, ont été randomisés en aveugle, au décours d’une prescription d’antipsychotique pour troubles du comportement : maintien de l’antipsychotique instauré pendant un an ou remplacement de celui-ci par un placebo. 128 sujets ont terminé l’essai. A un an, le taux de survie atteint 77 % dans le groupe placebo, contre seulement 70 % sous antipsychotique. Plus la prescription se prolonge, plus l’écart de mortalité s’accentue : à deux ans, 71 % de survie sous placebo, contre 46 % avec un antipsychotique. A la fin de l’essai, soit trois ans et demi plus tard, un peu plus d’un patient sous placebo sur deux vit toujours (53 % exactement), tandis que trois patients sous antipsychotique sur quatre sont décédés. La différence est édifiante (on se demande d’ailleurs comment l’essai a-t-il pu être poursuivi dans de telles conditions ; faut-il que la condition démente fasse peu l’objet de préoccupations éthiques…).

La leçon à tirer est claire. S’il faut vraiment traiter par des antipsychotiques le sujet âgé dément, que le traitement soit le plus léger et le bref possible. La routine, le défaut de suivi, un certain fatalisme concourent à des prescriptions neuroleptiques anormalement prolongées. Le besoin de calme dans les institutions, le manque de personnel aussi. Toute la question est là. La plupart des complications psychiatriques de la maladie d’Alzheimer sont de nature réactionnelle. Dépassé par les évènements – que ceux-ci soient somatiques ou psycho-sociaux -, incapable d’y faire face, le sujet en état de démence se trouve impuissant, ne comprend pas ce qu’il lui arrive et se sent abandonné par son entourage. Il s’agite, perd son sommeil, s’épuise et devient agressif. Pour peu que la situation perdure sans remède éclate un délire. C’est avant tout de compréhension de leurs difficultés par un soutien individualisé qu’ont besoin les déments qui s’agitent. Les antipsychotiques peuvent être utile, transitoirement, pour contrôler un débordement de tension qui mettrait en danger, ou ferait obstacle aux efforts de compréhension  et de rassérènement. Ils ne sauraient dispenser d’un bon examen clinique à la recherche d’un facteur intercurrent, ni du déchiffrement patient des motifs d’agitation, fussent-ils délirants. L’analyse des déterminants de la souffrance neuropsychique reste la meilleure méthode si l’on veut que les patients atteints de démence survivent à peu près apaisés.

  1. Rochon P.A., Stukel T.A., Bronskill S.E. et coll. Variation in nursing home antipsychotic prescribing rates. Arch Intern Med 2007 ; 167 : 676-683.
  2. Koopmans R.T. Are psychotropic drugs too frequently prescribed in Dutch nursing homes ? Tijdschr Gerontol Geriatr 2007 ; 38 : 270-273.
  3. Margallo-Lana M., Swann A., O’Brien J. et coll. Prevalence and pharmacological management of behavioural and psychological symptoms amongst dementia sufferers living in care environments. Int J Geriatr Psychiatr 2001 ; 16 : 39-44.
  4. Ballard C., Hanney M.L., Theodoulou M. et coll. The dementia antipsychotic withdrawal trial (DART-AD) : long-term follow up of a randomised placebo-controlled trial. The Lancet Neurology 2009 ; 8 : 151-157.

Mots clés : maladie d’Alzheimer, complications psychiatriques, antipsychotiques, mortalité