Les antidépresseurs sur la sellette chez l’enfant

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2008 ; 32.

La FDA (la Food and Drug Administration américaine déjà évoquée) a prononcé une sévère mise en garde sur la prescription des antidépresseurs chez les adolescents qui a fait pas mal de bruit. Cette mise en garde était une conséquence attendue des conclusions à laquelle aboutissait une méta-analyse des essais thérapeutiques des nouveaux antidépresseurs, à savoir une augmentation (modérée) des idées et des comportements suicidaires chez les enfants et les adolescents traités par ces produits (1). Aucun décès par suicide toutefois n’était signalé dans les essais ré-analysés par la FDA. Et l’on ne sait toujours pas si les antidépresseurs augmentent le risque de mort par suicide chez l’enfant ou chez l’adolescent. D’où l’intérêt d’une étude cas-témoins qui vient d’être publiée dans les Archives of Psychiatry.

Les auteurs ont tenté d’estimer le risque relatif de tentative de suicide et de décès par suicide chez des enfants et des adultes gravement déprimés traités par un antidépresseur. Ils ont procédé à partir de données fournies par Medicaid, le système d’aide médicale public américain, récoltées dans 50 états. N’ont été retenus que les patients hospitalisés pour dépression entre 1999 et 2000, en excluant les cas de grossesse, les troubles bipolaires, les schizophrénies, les retards mentaux, les démences et les états confusionnels.

Les résultats montrent que pour les adultes (tranche 19 – 64 ans), le recours aux antidépresseurs n’est pas associé à une augmentation des tentatives de suicide et de décès par suicide. En revanche, chez l’enfant déprimé, le risque de tentative de suicide se voit multiplié par 1,52 sous antidépresseur. Ce qui corrobore les résultats de la méta-analyse précitée de la FDA. Mais surtout, chez l’enfant et chez l’adolescent déprimés (tranche des 6-18 ans), le risque de mourir par suicide apparaît très augmenté en cas de traitement antidépresseur (OR = 15,62). Dans la mesure où le nombre de suicides observés dans cette tranche d’âge s’avère faible (8 cas) et que l’on ne peut exclure la possibilité que les sujets les plus déprimés
-présumés plus suicidaires- tendent à être traités en priorité par un antidépresseur, l’association constatée ne peut être reçue qu’avec circonspection. Même si les comorbidités augmentant le risque suicidaire ont été soigneusement exclues de l’étude, la possibilité demeure que plus un patient est déprimé, plus il a de chance d’être mis sous antidépresseur. Il y a donc des limites à ces résultats, et les auteurs eux-mêmes le reconnaissent. Néanmoins la prudence devrait s’imposer, vu l’enjeu et ses incertitudes. Une association entre antidépresseur et tentative de suicide, et surtout suicide, est très probable chez l’enfant et l’adolescent. D’où les recommandations actuelles en matière de traitement des dépressions de l’enfant et de l’adolescent : priorité à la psychothérapie et le moins d’antidépresseurs possible, soit uniquement en cas grave, résistant à la psychothérapie, après information sur les risques encourus et sous surveillance étroite (5).

Autre sujet d’interrogation pour les pédiatres cette fois, les éventuelles conséquences pour l’enfant à naître d’un traitement antidépresseur chez la femme enceinte. Le problème n’est pas facile à démêler car la dépression maternelle constitue elle-même un facteur de risque des complications néo-natales : petit poids de naissance, prématurité notamment. Le cas de figure est relativement fréquent : selon les études, entre 7 et 15 % des grossesses se compliquent de dépression (3). Et les ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine) ont plutôt bonne réputation au plan de leur tolérance fœtale (le risque tératogène semble nul), si bien que leur emploi est volontiers autorisé pendant la grossesse, en cas de dépression nécessitant un traitement. Mais là encore rien n’est simple. Un certain nombre de publications récentes attirent maintenant l’attention sur la survenue d’un syndrome de maladaptation néonatale chez les nouveaux nés exposés à un traitement antidépresseur pendant la gestation. Associant une détresse respiratoire, une hypoglycémie, des fluctuations de la température et une irritabilité, il évoque un effet neurotoxique (4).

Une équipe de Vancouver a tenté de clarifier ces questions en menant une enquête rétrospective sur toutes les naissances survenues en Colombie Britannique entre 1998 et 2001 (5). Soit un total de 119.547 naissances. Les auteurs se sont intéressés aux complications néonatales des bébés dont la mère avait été déprimée au cours de sa grossesse. Ils ont comparé les mères traitées par des ISRS à celles qui n’ont reçu aucun psychotrope. Afin de contrôler le biais lié à la gravité de la dépression, deux sous-groupes de gravité clinique comparable, l’un traité par ISRS l’autre pas, ont été constitués à partir d’un score de sévérité qui était dérivé des observations de suivi du grossesse.

Les résultats globaux montrent déjà que 14 % des naissances sont précédées d’une dépression durant la grossesse. Ce taux se révèle stable sur les 39 mois étudiés, mais l’exposition périnatale aux ISRS double sur la même période. De 2,3 % en 1998, elle grimpe à 5 % en 2001, confirmant la tendance actuelle qui est de recourir plus facilement aux ISRS en cas de dépression avérée de la femme enceinte. Les ISRS les plus prescrits sont la paroxétine, la sertraline et la fluoxétine. Les nouveaux-nés exposés montrent un plus grand risque de prénatalité. 13,9 % ont présenté des complications respiratoires à leur naissance, contre seulement 7,8 % chez ceux qui n’ont pas été exposés aux ISRS. 9,4 % ont fait un ictère, contre 7,5 % pour les non-exposés. 3,9 % des difficultés d’alimentation, contre 2,4 % pour les autres. Lorsque la gravité de la dépression maternelle est prise en compte, seuls les risques d’hypotrophie à terme et de détresse respiratoire demeurent significativement supérieurs en cas de traitement ISRS. Autrement dit, même en contrôlant le biais lié à la gravité de la dépression, les ISRS restent mis en cause dans les complications néo-natales. Le dilemme n’est pas mince : au cours d’une grossesse, la dépression risque d’avoir des conséquences pour l’enfant à naître. Mais la traiter avec des ISRS pourrait aggraver les choses. Débat à suivre.

  1. Hammad T.A., Laughren T., Racoosin J. Suicidality in Pediatric Patients Treated with Antidepressants Drugs. Arch Gen Psychiatry 2006 ; 63 : 332-339.
  2. Olfson M., Marcus S.C., Shaffer D. Antidepressant Drug Therapy and Suicide in Severely Depressed Children and Adults. Arch Gen Psychiatry 2006, 63 : 865-872.
  3. Evans J., Heron J., Francomb H., Oke S., Golding J. Cohort Study of Depressed Mood during Pregnancy and after Childbirth. Br Med J 2001 ; 323 : 257-260.
  4. Nordeng H., Lindemann R., Perminov K.V., Reikvam A. Neonatal Withdrawal Syndrome after In Utero Exposure to Selective Serotonine Reuptake Inhibitors. Acta Paediatr 2001 ; 90 : 288-291.
  5. Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Le bon usage des antidépresseurs chez l’enfant et l’adolescent. Saint-Denis, AFSSAPS, Janvier 2008 ; 11 pages (téléchargeable sur www.afssaps.sante.fr).

6.               Oberlander T.F., Warburton W., Misri S., Aghajanian J., Hertzman C. Neonatal Outcomes after Prenatal Exposure to Selective Serotonine Ruptake Inhibitor Antidepressants and Maternal Depression Using Population-Based Linked Health Data. Arch Gen Psychiatry 2006, 63 : 898-906.