Le test génétique avant le gène

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2008 ; 33.

                  « Le premier test de diagnostic de l’autisme va être lancé », titrait en caractères gras le quotidien « Le Monde » en juillet 2005 (1). Quel peut bien être l’auteur d’une telle prouesse, s’interrogeait perplexe le lecteur intéressé ? Une fois n’est pas coutume, une société française de biotechnologie, affiliée au Génopole d’Evry. Sous quelle forme le test allait-il être lancé ? Sous la forme d’un home-test, soit d’un kit en vente libre, sans prescription médicale particulière… Et où le lancement était-il envisagé ? Aux Etats-Unis, pays connu pour être un marché porteur, et surtout conciliant avec ce genre d’expérimentation humaine incontrôlée.

                  Trois ans ont passé et on attend toujours confirmation. L’anomalie génétique censée affecter le gène « PRKCB1 » sur le chromosome 16 dans l’autisme infantile, à l’origine du projet de test, manifestement n’a pas été confirmée. Ce qui n’a pas empêché la start-up en question de gagner un procès en diffamation contre un magazine d’Handicap international destiné aux parents d’enfants handicapés qui avait eu l’audace de critiquer son annonce en des termes peu amènes (2). Ni de maintenir sur son site Internet le lancement, il est vrai toujours différé, du test en question.

                  Pareilles annonces de lancements imminents de tests de dépistage génétiques de maladies psychiatriques font rage, en ce moment, aux USA. Non moins de trois start-ups américaines se sont lancées dans la course (3). L’une d’elle a jeté son dévolu sur les troubles bipolaires. Pour multiplier ses chances de succès, elle prévoit un test qui identifie à la fois des gènes impliqués dans le « risque bipolaire » (polymorphismes mono-nucléotidiques de GRK3 sur le chromosome 22 et de SP4 sur le chromosome 7 ; le directeur de la société en question est l’un des chercheurs à l’origine de l’identification de GRK3, sur lequel il a eu soin de déposer un brevet d’exploitation exclusive), et de divers autres gènes qui joueraient un rôle obscur dans la réponse aux traitements antidépresseurs (gènes qui sont accessibles, eux, dans le domaine public), tel celui codant pour le transporteur de la sérotonine par exemple. Une compagnie concurrente voit plus grand encore, commercialement parlant. Ce ne sont plus les troubles bipolaires qui se voient traqués par elle (ils ne représentent après tout qu’ un pour cent de la population générale), c’est la « dépression majeure », dont la prévalence il est vrai concerne beaucoup plus de citoyens. Par le biais d’un créneau lui-même très porteur par les temps qui courent : le dépistage des gènes permettant de prédire le risque de développer des idées suicidaires sous antidépresseur (sic !). Une autre start-up encore a annoncé la mise en vente courant 2009 d’un kit de dépistage génétique de la schizophrénie. Celui-ci associera des « gènes à risque » et des « gènes de réponse aux antipsychotiques ». Comment ne pas être conquis par un menu génétique aussi équilibré ?

                  Tout cela est-il bien sérieux ? L’implication des gènes ciblés a-t-elle été dûment vérifiée, et surtout confirmée, par des chercheurs et des publications indépendants ? La réponse est non. Le GRK3 par exemple n’a pas été retenu comme « gène candidat » par deux publications récentes sur la génétique des troubles bipolaires (4, 5). C’est un peu ennuyeux… Quel intérêt peut-il y avoir à se lancer dans le dépistage de maladies à la génétique encore non élucidée avec des tests aussi improbables, dont le risque d’erreurs, de faux positifs en particulier, sera tellement élevé qu’il ne pourra qu’en résulter angoisses inutiles et décisions infondées ? Est-on si près de tenir les gènes de l’autisme, de la schizophrénie, des troubles thymiques ? Pas un chercheur raisonnable ne semble le penser.

                  Alors pourquoi un tel emballement ? Pour plusieurs raisons, qui n’ont rien de très scientifique quand on les examine. D’abord parce qu’il y a une demande. Une demande naïve, mais sincère, avide, intense, de la part du public américain, demande largement entretenue par les miracles de la « révolution génétique » que lui vantent quelques généticiens en mal de publicité. L’idée d’avoir (peut-être) identifié une association (faible) entre la mutation allélique particulière d’un gène (un « SNP » : single nucleotide polymorphism ) et un trouble psychiatrique, à une fréquence un peu plus élevée que ne voudrait le hasard, au terme de l’application poussée d’une série de tests statistiques d’interprétation délicate, dans un échantillon unique de familles exposées, représente une simplification extrêmement grossière de la réalité, qui frise la malhonnêteté intellectuelle. Si une telle simplification peut éventuellement être recevable comme hypothèse de recherche, elle devient rapidement inacceptable dans des applications cliniques. Avoir un gène éventuellement candidat ne signifie pas grand-chose à l’heure actuelle, au regard de pathologies aussi hétérogènes que les troubles bipolaires, la dépression majeure, les schizophrénies ou l’autisme infantiles, pathologies dans lesquelles sont suspectées à l’œuvre des interactions extrêmement complexes de multiples gènes et facteurs environnementaux, encore largement indéterminées. Sauf pedigrees rarissimes qu’il reste à découvrir, l’hypothèse d’un gène d’effet majeur est abandonnée par les chercheurs dans ce type d’affections (6). Elle ne demeure vivace que dans l’esprit du public, que certains chercheurs peu scrupuleux se gardent bien de contredire sur ce point. Car pour pouvoir chercher, il faut des crédits. Et les crédits, on les obtient mieux avec des slogans qui frappent. L’autre raison, assez proche de la précédente, c’est que les start-ups qui proposent ces tests non seulement mélangent volontiers les genres (leurs membres publient d’une main ce qu’ils brevètent de l’autre), mais ont aussi quelques comptes à rendre à leurs créanciers. Les investisseurs de capitaux à risque sont de grands inquiets, qui ont périodiquement besoin d’être rassurés sur la rentabilité de leurs placements. Il faut donc annoncer, annoncer toujours plus, pour ne pas tarir la manne des financements. Le résultat, c’est une fuite en avant qui n’est pas toujours contrôlée. En gardant à l’esprit que l’essentiel est ailleurs. Qu’il est d’occuper le terrain, et de tenir, le temps que les publications viennent confirmer les gènes retenus (et brevetés) pour le dépistage envisagé. Voire, plus cyniquement, le temps d’avoir vendu suffisamment d’un produit inefficace mais avidement demandé, pour que la mise soit remboursée. En attendant, beaucoup d’espoir risque d’avoir été entretenu sur ce qui n’était que du vent.

                  [Mots clés : test génétique en psychiatrie ; autisme infantile ; troubles bipolaires ; schizophrénie]

                  (1) Le Monde, mercredi 20 juillet 2005, p. 24.

                  (2) Médecine Sciences 2007 ; 23 : 545-546.

                  (3) Science 2008 ; 319 : 274-277.

                  (4) Prata DP, Breen G, Munro J & coll. “Bipolar disorder is not associated with he RGS4, PRODH, COMT and GRK3 genes.” Psychiatr Genet 2006 ; 16 : 229-230.

                  (5) Sanders AR, Duan J, Levinson DF & coll. “No significant association of 14 candidate genes with schizophrenia in a large Europena ancestry sample : implications for psychiatric genetics.” Am J Psychiatr 2008 ; 165 : 497-506.

                  (6) Roubertoux P. Existe-t-il des gènes du comportement ? Odile Jacob, Paris, 2004.