Le bon haschisch et le mauvais ?

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2008 ; 33.

Que le haschisch provoque des troubles psychotiques, de véritables tableaux schizophréniques secondaires y compris, paraît de moins en moins contestable (1). Il semble même qu’on tienne fermement le coupable : le Δ9-tétrahydrocannabinol (Δ9-THC), molécule à l’origine des effets psychodysleptiques, mais aussi anxiogènes, du Cannabis sativa. Une chose s’explique mal toutefois : pourquoi les sujets atteints d’une vulnérabilité psychotique restent-il tant attirés par le haschisch ? Pourquoi le fait de rechuter ne parvient-il pas à les dissuader d’en consommer ? La réponse pourrait se trouver dans l’existence d’une autre molécule que contient le haschisch : le cannabidiol. Pour certains chercheurs, le cannabidiol possèderait des effets anxiolytiques, peut-être même antipsychotiques (2). Dès lors tout dépendrait du rapport Δ9-THC/cannabidiol qui caractérise la variété de haschisch consommée, lequel est très fluctuant. Plus ce rapport serait élevé, plus le risque de délirer augmenterait, et réciproquement.

                  L’hypothèse est séduisante. Afin de la tester, deux psychopharmacologues d’University College à Londres ont eu l’idée de calculer ce rapport Δ9-THC/cannabidiol chez des patients atteints de schizophrénie consommateurs de drogues, à partir de prélèvements capillaires, et de le rapporter à leur état clinique.

                  Trois groupes de patients étaient comparés : ceux dont les cheveux contenaient uniquement du Δ9-THC (20 sujets), ceux dont les cheveux contenaient du Δ9-THC et du cannabidiol (27 sujets), et un groupe sans aucune trace de cannabinoïdes dans les cheveux (les « haschsich négatifs »). Il ressort des comparaisons effectuées que les patients faisant état uniquement de Δ9-THC dans leurs cheveux présentent le score d’idées délirantes et d’hallucinations le plus élevé. Le cannabidiol pourrait bien exercer l’effet antipsychotique protecteur qui lui est prêté : chez les patients dont les cheveux en portent trace, le même score est nettement inférieur, superposable à celui des patients « haschisch négatifs ». Autre différence significative notable : les patients « Δ9-THC + cannabidiol » s’avèrent beaucoup moins anhédoniques que les « Δ9-THC uniquement » ou que les « haschisch négatifs ».

                  Le dosage capillaire n’est peut-être pas la mesure la plus fiable qui soit de la quantité des cannabidoïdes absorbée (il serait notamment faussé par les shampoings et les colorants). Mais il y a tout de même là une piste intéressante à poursuivre. Si d’aventure elle devait se confirmer, verra-t-on bientôt fleurir dans nos campagnes des champs de « Cannabis OGM enrichi en cannabidiol » ? Nos parlementaires trouveront-ils à s’entendre pour autoriser de telles semence thérapeutiques ? Les militants de la cause anti-OGM sauront-ils tempérer leur opinion pour leur donner le blanc-seing nécessaire ? Débat passionnant à suivre, le haschisch n’a pas fini de faire parler de lui.

[Mots clés : schizophrénie ; haschisch ; cannabidiol ; Δ9-tétrahydrocannabinol ]

  • Moor TH, Zammit S, Lingford-Hughes A, Barnes TR, Jones PB, Burke M, Lewis G. “Cannabis use and risk of psychotic or affective mental health outcomes : a systematic review.” Lancet, 2007 ; 370 : 319-332.
  • Zuardi AW, Crippa JA, Hallak JE, Moreira FA, Guimarães FS. « Cannabidiol, a Cannabis sativa constituent, as antipsychotic drug.” Braz J Med Biol Res 2006 ; 39 : 421-429 (http://www.scielo.br/pdf/bjmbr/v39n4/6164.pdf)

Morgan CJA, Curran HV. “Effects of cannabidiol on schizophrenia-like symptoms in people who use cannabis.” Brit J Psychiatr 2008 ; 192 : 306-307.