Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2007 ; 30.
Un récent éditorial du British Journal of Psychiatry s’emploie à sensibiliser les psychiatres anglais à un traitement très efficace, et surtout remarquablement bien toléré, qui a été mis au point aux Etats-Unis pour prendre en charge les toxicomanies, le « contingency management » (1). Si sa traduction littérale en Français risque de prêter à sourire (« gestion des hasards », au sens de « gestion des rechutes qui ne préviennent pas »), le principe en paraîtra aussi sérieux que convaincant. Il consiste à récompenser, grâce à ce que les concepteurs appellent, techniquement parlant, des « renforcements positifs », chaque progrès qu’accomplit le patient vers l’abstinence. On lui donne par exemple un bon d’achat, à chaque fois que son contrôle d’urine revient négatif à la consultation. Le thérapeute gère pour chaque patient une sorte de compte bancaire clinique, qui enregistre les bons successivement gagnés. Toute l’astuce réside dans le fait que le montant des bons croît à mesure que l’abstinence se confirme. Dans l’exemple donné, au premier retour urinaire négatif, la valeur des bons crédités est habituellement de 2,50 $. Au second dosage négatif qui suit, elle passe à 3,75 $. Puis à 5 $ pour le troisième, et ainsi de suite. Lorsque le patient a accumulé assez de bons pour s’acheter l’objet de son choix, le thérapeute-banquier procède solennellement à la réalisation de ses avoirs. Baladeur mp3, chaîne hifi, four à micro-ondes, places de théâtre, etc., sont les exemples les plus courants des objets qu’il devient possible de gagner grâce à cette ingénieuse thérapeutique. Ce sont les infirmiers qui passent les commandes, de sorte qu’aucun argent liquide ne circule entre thérapeute et malade. Il va sans dire que sont bannis de la liste des récompenses boissons alcoolisées, armes à feu, tickets d’entrée au cabaret, etc.
Plusieurs essais contrôlés, méthodologiquement irréprochables, ont apporté la preuve de l’efficacité du contingency management. Dans toutes les comparaisons menées, les résultats le montrent supérieur aux traitements usuels (2). Lors d’un essai conduit avec des cocaïnomanes par exemple, les patients ayant bénéficié de bons de contingency management sont restés abstinents en moyenne 12 semaines consécutives, contre 6 semaines à peine pour ceux qui n’eurent droit qu’à la psychothérapie standard (3).
Quels peuvent être les obstacles à la diffusion d’une thérapie aussi rationnelle qu’efficace ? En fait, essentiellement son coût. En moyenne, sur 12 semaines de traitement, les patients arrivent tout de même à gagner 1200 dollars (un peu moins de 1000 euros au cours actuel). Les promoteurs du contingency management se sont donc employés à réduire le montant des bons à gagner. A leur grand étonnement, la thérapie marche moins bien. Ses résultats s’effondrent, en dessous d’un certain prix. Mais, se demandera-t-on, 1000 euros pour 3 mois de traitement, est-ce cher payé, au regard des avantages à attendre ? A ceux qui ne seraient pas convaincus, les défenseurs du contingency management ne manquent pas de faire valoir que trois mois de traitement d’une toxicomanie par une association aussi courante que de la naltrexone (Revia®) et de l’olanzapine (Zyprexa®) chiffrent dans les 700 euros (tout dépend des posologies employées). Si l’on ajoute la rémunération du psychothérapeute, le prix de revient d’un traitement standard est presque équivalent. Ne pourrait-on combler le léger manque à gagner en faisant appel à la générosité d’un sponsor ? Darty et le BHV seraient sur les rangs.
L’auteur de cet éditorial instructif s’est elle-même attaquée à la difficulté posée par ce surcoût potentiel du contingency management. La solution qu’elle a réussie à mettre au point paraît convaincante (1). Au lieu d’offrir des bons d’achat de valeur constante, il suffit d’organiser une loterie avec tirage au sort. Le principe est simple. Lorsque votre urine revient négative, vous tirez un petit papier dans le chapeau. Soit vous gagnez (un téléphone portable, un ticket de métro, un livre de Freud, etc.), soit vous perdez. Dans ce dernier cas, le papier que vous avez tiré ne manque pas de vous encourager par une formule positive : « bravo ! continuez ! » ; ou bien : « excellent, recommencez ! », etc. 50% des petits papiers ne rapportent que des éloges encourageant à poursuivre les soins. 42% offrent des cadeaux d’un prix modeste, 7% d’un prix conséquent et 1% le gros lot à 100 $. Plus vous tirez de petits papiers, plus vos chances de gagner s’élèvent, plus vos efforts pour rester abstinent augmentent (c’est assez facile à comprendre). Le contingency management montre d’aussi bons résultats avec cette méthode. Mais l’avantage, c’est qu’il ne revient plus alors qu’à 200 $, en moyenne, par patient, pour 12 semaines de traitement. Un prix qui cette fois défie toute concurrence.
Le contingency management a de l’avenir. Il a été testé avec succès dans l’abus d’alcool, la cocaïnomanie, les toxicomanies aux opiacés. Dans ce dernier cas, l’abstinence observée sous méthadone se trouve améliorée. Il n’a aucun effet indésirable (seuls quelques patients échangent leurs bons d’achat contre de la drogue, mais le dépistage urinaire permet de les confondre). Son seul problème serait d’ordre éthique. Aux Etats-Unis, certains esprits chagrins ont émis des protestations : « payer les toxicomanes pour qu’ils fassent ce qu’ils doivent faire n’est pas éthique ». Ce n’est pas l’argent qui est immoral, c’est de ne pas se soigner. (Alain Bottéro)
- Petry NM. Brit J Psychiatr 2006 ; 189 : 97-98.
- par ex. Petry NM. Drug Alc Dep 2000 ; 58 : 9-25 ; Lussier JP, Heil SH, Mongeon JA & coll. Addiction 2006 ; 101 : 192-203.
Higgins ST, Budney AJ, Bickel WK & coll. Arch Gen Psychiatr 1994 ; 51 : 568-576.