Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2007 ; 30.
L’état-limite n’a pas bonne presse. Les patients auxquels est attribué un tel diagnostic passent pour plus difficiles à soigner que les autres. Leur prise en charge psychothérapique donne lieu à des complications, ils commettent des passages à l’acte imprévisibles, des tentatives de suicide inquiétantes, etc. L’évolution est chronique, le pronostic réputé sévère.
Le tableau est plutôt sombre, mais il pourrait changer, comme s’emploie à le montrer un éditorial stimulant du British Journal of Psychiatry (1). Deux études de suivi prospectif – c’est ce qui en fait tout leur intérêt – constatent que la majorité des patients « limites » présentent en fait une atténuation significative de leurs symptômes plus tôt qu’il n’est habituel de le décrire (2, 3). Au bout de 6 ans d’évolution, 3 patients sur 4 ayant reçu un diagnostic d’état-limite suffisamment grave pour avoir imposé une hospitalisation, remplissent des critères standardisés de rémission. Pour beaucoup, une évolution favorable se dessine plus rapidement, puisque la moitié se trouve en rémission dès la 4ème année du suivi. Par la suite, le taux de rémission continue de progresser, à un rythme régulier de 10 à 15% par an. Quant aux récurrences, elles sont rares, totalisant moins de 10% sur les 6 années d’observation.
Vu sous un tel angle évolutif, ce sont les symptômes d’impulsivité qui sont les plus rapides à rentrer dans l’ordre, tandis que les symptômes thymiques demandent plus de temps. L’évolution tend ainsi à confirmer qu’il existerait deux sous-ensembles symptomatiques distincts à l’origine du tableau clinique d’état-limite.
1) Les auto-mutilations, les tentatives de suicide, la pensée quasi-psychotique, la régression thérapeutique et les complications contre-transférentielles appartiennent manifestement à un état psycho-pathologique aigu. Ces symptômes, qui sont parmi les plus représentatifs du concept d’« état-limite », donnent lieu à autant de crises et d’hospitalisations. Ils rentrent dans l’ordre relativement vite, pour avoir disparu chez la plupart des patients passés 6 ans d’évolution.
2) L’autre sous-ensemble symptomatique en revanche se révèle plus stable et plus durable. Il contribue à donner une dimension permanente, plus « structurelle », à l’état-limite. En font partie les sentiments chroniques de colère et de vide, l’hypersensibilité relationnelle, la difficulté à rester seul, l’angoisse d’abandon. Le suivi montre que ce type de difficultés est toujours lent à se résoudre.
Comment comprendre des résultats aussi inattendus, somme toute beaucoup plus optimistes qu’on ne le pensait ? Les auteurs rappellent tout d’abord qu’un certain nombre de progrès ont eu lieu dans la prise en charge de ces patients. La « thérapie comportementale dialectique » par exemple (4) permet d’obtenir une réduction très significative des tentatives de suicide par rapport aux prises en charge usuelles. Mais même des approches psychodynamiques plus classiques affichent désormais de meilleurs résultats elles aussi (5).
Est-ce que d’avoir changé la façon d’aborder les patients peut jouer à ce point ? Les auteurs s’interrogent, dans l’évidente intention de provoquer un débat sur les effets iatrogènes des psychothérapies. La question est sensible, elle embarrasse, mais il est salutaire de la poser. De fait, les patients que l’on range dans la catégorie « état-limite » se révèlent particulièrement vulnérables aux effets de la relation psychothérapique. Leurs capacités de « mentalisation » sont, au moins temporairement, amoindries par l’angoisse intense qui les habite. Et il est notoire que leur « attachement » se révèle aussi sensible que réactif au climat dans lequel s’opère la psychothérapie. Toute la difficulté, pour le thérapeute, serait de susciter un attachement suffisant pour pouvoir faire passer une analyse plus rationnelle de la situation. Les explications des auteurs sur ce point ne sont pas toujours claires, quelquefois même emberlificotées, mais l’idée qu’ils semblent vouloir défendre, c’est qu’il convient d’abord d’établir un lien apaisant, qui soit capable de supporter ses remises en cause par l’angoisse et l’insécurité qui l’accompagne. Ce n’est que dans un second temps, sur cette base solide, que pourront être relancées, sans risque persécutif, les capacités d’auto-réflexion et de maîtrise émotionnelle. Un tel travail demande un thérapeute capable de s’identifier par empathie à ce que vit intérieurement son patient, au lieu d’un médecin qui se contente d’observer en gardant froidement ses distances. Un thérapeute qui se montre flexible sur les objectifs de la thérapie, et non pas formaliste. Qui s’implique et collabore activement avec son patient pour calmer sa souffrance. Cela suppose encore de savoir contrôler son contre-transfert lorsque se développe un transfert chaotique : tolérer la sur-dépendance sans l’encourager, canaliser l’envahissement sans le rejeter. Le tout en recentrant l’attention du patient sur son état de fragilité et son épuisement. Un épuisement le plus souvent très mal perçu par l’intéressé, qui entretient les doutes sur lui-même, sur son thérapeute et la possibilité de surmonter la situation avec lui. Cela suppose enfin de savoir reconnaître que l’on commet des erreurs d’interprétation, et accepter de les corriger, en s’excusant pour les douleurs malencontreusement infligées. Un thérapeute souple, qui se montre capable de discuter, de remettre en cause ses attitudes, sera le plus apte à permettre à son patient de prendre progressivement conscience de ses propres attitudes pathologiques, pour parvenir à les modifier à son tour. (Alain Bottéro)
- Fonagy P, Bateman A. Br J Psychiatr 2006 ; 188 : 1-3.
- Zanarini MC, Frankenburg FR, Hennen J, Silk KR. Am J Psychiatr 2003 ; 160 : 274-283.
- Shea MT, Stout RL, Yen S & coll. J Abnorm Psychol 2004 ; II3 : 499-508.
- Lieb K, Zanarini MC, Schmahl C & coll. Lancet 2004 ; 364 : 453-461.
Bateman AW, Fonagy P. Am J Psychiatr 2001 ; 158 : 36-42.