Joueur pathologique : le placebo lui aussi joue beaucoup

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2006 ; 28.

Le « jeu pathologique » n’a rien de bien nouveau, qu’on relise pour s’en convaincre le roman de Dostoïevski « Le Joueur », il offre un témoignage clinique extraordinaire sur la question. Mais le diagnostic est à la mode, particulièrement de l’autre côté de l’Atlantique Nord où, il est vrai, une part notable de l’économie domestique prospère grâce à lui. Nous savons tous que si la roulette, le poker et les machines ont leur capitale mondiale, c’est à Las Vegas qu’elle se trouve. Et nous ne sommes par conséquent guère surpris d’apprendre que les joueurs pathologiques sont légion aux Etats-Unis. Cela colle avec le péché d’ultra-libéralisme que nous prêtons volontiers aux habitants de ce pays. Toutefois le phénomène semble y atteindre des proportions exorbitantes, si l’on en juge d’après les enquêtes épidémiologiques. Celles-ci aboutissent à des estimations de l’ordre de 1,6 à 3,9% de la population générale. Jusqu’à 14 millions de joueurs pathologiques, ce n’est tout de même pas rien. A la réflexion on se dit que cela doit être difficile à chiffrer avec certitude, ce d’autant que les critères diagnostiques employés, ceux du DSMIV, apparaissent plutôt lâches. Malgré tout, il semble indéniable que le nombre de citoyens américains concernés par le problème soit considérable. Au point de justifier l’intervention de psychiatres experts en la matière, qui tiennent meetings réguliers et publient une revue spécialisée, le très sérieux Journal of Gambling Studies.

Bien entendu, on étudie les origines génétiques d’une telle pathologie (les jumeaux démontrent une vulnérabilité génétique), et l’imagerie cérébrale fonctionnelle est activement mise à contribution pour détecter ce qui « dysfonctionne » dans le cerveau de tels sujets (le contrôle frontal, pour résumer en deux mots l’état de la question). La conceptualisation psychopathologique présente du problème fait intervenir tantôt un trouble du contrôle des impulsions, tantôt une forme de pathologie dépressive, avec addiction secondaire compensatrice. Le jeu est en effet un excitant puissant, dont le déprimé rechercherait les sensations pour échapper aux affres de l’effondrement thymique. Si bien que, dans tous les cas, on s’oriente vers le système sérotoninergique, et les antidépresseurs sérotoninergiques sont préconisés comme traitement de première intention. Mais c’est là que le prescripteur scrupuleux trouve que le bât blesse. De quelles confirmations empiriques contrôlées dispose-t-on pour conforter une telle indication ? Très peu d’essais thérapeutiques correctement menés se sont attelés à la question. Un récent en date, réalisé à Madrid, mérite d’être signalé (1). Comme on va le voir, ses conclusions laissent pensif.

60 patients répondant aux critères DSM IV du jeu pathologique ont été inclus dans cet essai comparant en double aveugle l’efficacité de la sertraline à celle d’un placebo. L’intérêt principal de l’étude réside dans sa durée, qui était de 6 mois : elle permet de faire mieux la part des choses. En pratique, la sertraline marche bien, mais le placebo aussi : respectivement 74% et 72 % de répondeurs à 6 mois, chez ceux qui ont réussi à terminer l’essai (soit un patient sur deux). Sans que ne se révèle la moindre différence significative sur l’ensemble des évaluations cliniques pratiquées.

72% de réponse au placebo, c’est tout de même beaucoup. On soupçonne que les joueurs qui ont bien voulu jouer le jeu des 6 mois de protocole thérapeutique ne devaient pas être si difficiles à soigner. Que le simple fait de se plier, jusqu’au bout, aux contraintes d’un tel essai devait sélectionner les meilleures volontés, partant aider à faire amende honorable sur une conduite vécue plutôt en secret et dans la honte. Mais dans ce cas, se dira-t-on, à quoi bon prescrire un ISRS, si ce qui compte le plus, finalement, c’est d’abord de vouloir aller mieux, et surtout d’être aidé un temps suffisant à le faire ? Retenons que l’effet placebo, c’est à dire notre intention sincère de répondre à la demande d’aide de nos patients, a de beaux jours devant lui chez les joueurs. Du moins pour les plus « compliants » d’entre eux. Car les joueurs-buveurs, qui sont ceux qui nous posent le plus de problèmes, se trouvaient exclus de facto de cet essai dont les conclusions négatives n’en sont pas moins instructives.

(1). Saiz-Ruiz J, Blanco C & coll. J Clin Psychiatr 2005 ; 66 : 28-33.