Circonvolution cingulaire et schizophrénies

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2008 ; 33.

Les conclusions des méta-revues d’études d’imagerie cérébrale sont plutôt convergentes entre elles : les schizophrénies s’accompagnent d’une diminution sensible du volume total du tissu cérébral. Diminution qui n’est pas énorme – de 2 à 3 % en moyenne -, ni homogène : un peu plus marquée au niveau de la substance grise, des aires préfrontales et temporales en particulier, qu’au niveau de la substance blanche. Ceci étant, reste à l’interpréter. Les hypothèses ne manquent pas : séquelles de microlésions pré- ou péri-natales (1) ? phénomènes locaux d’excito-toxicité glutamatergique (2) ? effets du stress (3) ? de la dénutrition ? de l’inactivité (1) ? des traitements (4) ? etc. Personne aujourd’hui n’est en mesure de trancher, mais le rôle des traitements neuroleptiques de plus en plus paraît devoir être pris en compte.

           Une étude récente centrée sur la circonvolution cingulaire antérieure tend à son tour à le montrer (5). Cette circonvolution retient l’attention des chercheurs en raison de son rôle dans la modulation de la réponse émotionnelle et les fonctions exécutives (motivation, attention, mémoire de travail, apprentissage, prise de décision, insight). Son volume serait-il lui aussi diminué dans les schizophrénies ? Certaines publications concluent positivement, d’autres pas. Afin de le vérifier, les auteurs de l’étude en question ont constitué deux groupes pour les comparer à l’IRM : trente cas de schizophrénies, de durée et gravité variables, trente sujets normaux. En prenant soin de contrôler les variables que l’on sait exercer une influence sur la taille de la cingulaire antérieure, tels que le sexe, la dominance manuelle, les traitements subis : n’ont été retenus que des hommes, droitiers, n’ayant reçu que des neuroleptiques conventionnels.

           Les résultats surprennent : si le volume moyen de la cingulaire antérieure droite est dans la norme chez les patients, à gauche en revanche il apparaît nettement augmenté : de 15 à 20 % en moyenne. Cette augmentation de volume n’est nullement liée à la sévérité de la maladie (que celle-ci soit évaluée en scores positif, négatif ou désorganisé), mais dépend avant tout de la quantité totale de neuroleptiques qui a été ingurgitée : plus celle-ci est élevée, plus la cingulaire antérieure gauche voit son volume augmenté.

           On savait déjà que les neuroleptiques conventionnels provoquent une hypertrophie des ganglions de la base (noyau caudé, putamen, pallidum ; pour une revue, cf. [6]), ce qui est interprété comme le reflet de « l’up-régulation » consécutive à l’inhibition chronique des récepteurs dopaminergiques D2 . Mais la densité des D2 étant beaucoup plus faible au niveau des régions corticales, un autre type d’explication devient nécessaire. Faut-il voir dans cette hypertrophie de la cingulaire antérieure gauche l’effet indirect de la désinhibition des circuits qui lui sont afférents ? On entre là dans les méandres des inhibitions et désinhibitions en cascade de la circuiterie cérébrale, où toute spéculation rapidement s’égare. Mais si une chose semble se confirmer, c’est que les neuroleptiques exercent des effets beaucoup plus marqués qu’on ne le pensait sur la plasticité des circuits cérébraux. Ce qui relativise un peu plus les conclusions de nombreux travaux d’imagerie des schizophrénies qui omettent de spécifier quels sont les traitements reçus par les patients étudiés.

[Mots clés : cingulaire antérieure ; schizophrénie ; imagerie cérébrale ; neuroleptiques]

(1) Cf. « Schizophrénies : l’hypothèse glutamatergique. » Neuropsychiatrie : Tendances & Débats 2004 ; 24 : 11-14 (www.neuropsychiatrie.fr)

(2) Cf. «Schizophrénies : neuro-toxicité ou neuro-plasticité ? Le modèle neuro-développemental se défend. » Neuropsychiatrie : Tendances & Débats 2003 ; 2 : 13-16 (www.neuropsychiatrie.fr)

(3) Cotter D, Pariante CM. “Stress and the progression of the developmental hypothesis of schizophrenia”. Brit J Psychiatr 2002 ; 181 : 363-365.

(4) “Imagerie des schizophrénies : neuro-dégénérescence, neuro-plasticité ou artéfact iatrogène ? » Neuropsychiatrie : Tendances & Débats 2004 ; 25 : 49 (www.neuropsychiatrie.fr)

(5) Kopelman A, Andreasen NC, Nopoulos P. “Morphology of the Anterior Cingulate Gyrus in Patients with Schizophrenia : Relationship to Typical Neuroleptic Exposure”. Am J Psychiatr 2005 ; 162 : 1872-1878.

(6) Scherk H, Falkai P. “Effects of antipsychotics on brain structure”. Curr Opin Psychiatry 2006 ; 19 : 145-150.