L’espoir, composante primordiale de l’effet placebo

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2005 ; 27.

Tout thérapeute le sait, l’attente que ses patients manifestent à l’égard du traitement représente une attitude à laquelle il se doit de prêter la plus grande attention, et qu’il est préférable d’entretenir (dans les limites de l’honnêteté intellectuelle autorisées par la science, là est tout le problème), s’il veut accroître ses chances de réussir. Et cela d’autant plus que le succès thérapeutique n’est pas garanti d’avance. C’est particulièrement le cas des états dépressifs, dont 30 à 50% ne répondent pas au premier antidépresseur qui est prescrit, et dans lesquels les effets de transfert et de suggestion sont souvent si importants. Si bien que lorsqu’on se voit contraint de changer d’antidépresseur, on s’efforce en général de prescrire un produit attendu par son patient, bien accueilli par lui, qui suscite son anticipation positive, un espoir au moins relatif de sa part. Mobiliser les forces morales, et conforter leur début de mobilisation, cette faible flamme de l’espoir, au sens psychodynamique du terme, qui est en train de se ranimer, constitue un aspect essentiel de la thérapeutique antidépressive. Et plus un tel espoir sera entretenu avec conviction par le thérapeute, c’est à dire le sien propre sera solide, sincère, authentique, dépourvu de doute et d’hésitation – car il n’est rien de plus contagieux que l’espoir dans les affaires humaines -, plus le phénomène tendra à se renforcer et entraîner la dynamique positive escomptée. Il faut croire d’ailleurs que les laboratoires pharmaceutiques sont bien plus conscients du problème que les cliniciens, à observer les trésors de persuasion déployés par leurs visiteurs, quand ils font l’article d’un antidépresseur. Quelquefois on en vient même à se demander si les rôles ne sont pas, un bref moment, inversés : durant les visites de labos, le déprimé qui désespère de sa panoplie d’antidépresseurs, n’est-ce pas le psychiatre ? Et celle qui vient lui redonner courage avec une nouvelle molécule, la visiteuse, qui y croit, elle, dur comme fer ? Une fois regonflé par cette apparition providentielle, le prescripteur saura bien insuffler à ses patients un peu de cet air frais qui lui redonne vie…

            Un essai clinique au « design » élémentaire vient à point nommé nous confirmer tout cela (1). Les auteurs se sont intéressés à la relation existant entre l’espoir d’une efficacité thérapeutique, tel que le manifeste le patient déprimé au début de son traitement antidépresseur, et le taux de réponses observé après lui. L’essai durait 9 semaines, il concernait 25 « déprimés majeurs », avec toutes les évaluations qu’on est en droit d’attendre. Ses résultats parlent d’eux-mêmes. 90% des patients qui initialement croyaient le plus à l’efficacité du traitement proposé ont répondu, contre 33% seulement pour ceux qui n’affichaient qu’un espoir mitigé à son encontre. Point intéressant, ni la gravité de la dépression ou sa durée, ni le nombre d’antécédents dépressifs n’exercent d’influence sur le taux de réponse. Rien de nouveau en somme, mais il n’est pas inutile de vérifier que ce que le métier nous apprend peut se démontrer « expérimentalement », à l’aide d’un protocole souvent très simple.

            Là où le même phénomène devient intéressant, c’est lorsqu’on le retrouve dans des thérapeutiques beaucoup plus ardues et expérimentales, dont les enjeux scientifiques et éthiques deviennent tels que les chercheurs tendent à le négliger. C’est le cas d’une récente tentative de greffe de neurones dopaminergiques embryonnaires, dont on a beaucoup parlé dans les médias, qui, chose rare et méritoire, fut conduite dans des conditions de double-aveugle les plus strictes, chez des sujets souffrant d’une maladie de Parkinson évoluée. Un sous-groupe des expérimentateurs s’est attaché à étudier l’amélioration de la qualité de vie observée à 12 mois de greffe, en fonction de ce que les patients ont cru avoir reçu. Les conclusions sont nettes : la greffe réelle ne marche pas mieux que la greffe placebo. Mais, et c’est là que cela devient passionnant, quel que soit le traitement reçu – vraies cellules embryonnaires ou cellules placebo -, plus les patients se montraient convaincus d’avoir bénéficié d’un traitement authentique, meilleure se trouvait leur condition clinique un an plus tard. Et une telle amélioration est on ne peut plus objective : les cliniciens, qui ignoraient eux-aussi si leurs patients avaient ou non reçu les fameuses cellules embryonnaires, ont systématiquement côté comme nettement plus améliorés, échelles neurologiques ad hoc à l’appui, les patients qu’ils percevaient comme ayant vraisemblablement dû bénéficier de la greffe de cellules embryonnaires.

Pour le dire autrement, l’effet placebo neurochirurgical est un effet thérapeutique majeur : proportionnel à la puissance qui lui est prêtée, tant par les patients que par ses artisans médecins. Soit dit en passant, les tentatives néo-psychochirurgicales par neurostimulation transcrânienne qui sont actuellement prônées dans le traitement des TOCs dits « résistants » devraient en prendre de la graine. Bien qu’il soit particulièrement délicat à mettre en œuvre, le double-aveugle neurochirurgical reste le seul moyen de savoir si le résultat thérapeutique de l’intervention est véritablement le fruit de la technique ou seulement lié à l’aura d’efficacité qui lui est prêtée. Il n’y a aujourd’hui aucune raison d’accepter que la « nouvelle neurochirurgie des maladies mentales », qui a été bien hâtivement avalisée par le Comité consultatif national d’éthique, s’en trouve dispensée (3).

Autre réflexion importante : à en juger par cet essai, contrairement à ce que l’on croit, l’effet placebo n’est pas qu’une simple réaction éphémère, qui se dissipe avec le temps, à la différence du « véritable » effet thérapeutique. C’est un effet lui aussi « véritable », qui dure et peut très bien se maintenir. Dans le cas présent, douze mois, ce qui n’est pas rien. On est donc en droit de s’interroger sur la durée réglementaire des essais cliniques. Huit semaines de double-aveugle, comme c’est le cas pour la très grande majorité d’entre eux actuellement, est-ce bien suffisant pour écarter à coup sûr un effet placebo ?

            Toujours sur le même sujet, pour ceux qui ont besoin de voir pour y croire, signalons une étude d’imagerie cérébrale fonctionnelle particulièrement démonstrative (4). Lorsqu’on mesure au Pet-scan la consommation cérébrale régionale de glucose sanguin chez des cocaïnomanes auxquels est proposée, en double-aveugle, une injection IV de méthylphénidate ou d’un placebo, on constate que celle-ci s’avère 50% plus élevée lorsque le sujet s’attend à recevoir du méthylphénidate et non un placebo. Cette augmentation du métabolisme glucosé est bien entendu d’autant plus prononcée que le sujet reçoit effectivement de l’amphétaminique. Mais lorsqu’il n’en reçoit pas alors qu’il s’attend à en recevoir, elle reste quantitativement plus importante que s’il pense avoir droit au placebo. Une autre variable, « subjective » celle-là, s’avère étroitement corrélée à cette attente de drogue : le niveau de plaisir ressenti. Celui-ci il est d’autant plus fort que le sujet escompte bénéficier d’une drogue effective, et maximum quand il la reçoit. Bref, s’attendre à un effet pharmacologique tend à exagérer ses corrélats objectifs. Les auteurs interprètent ces résultats par un mécanisme d’amplification des signaux dopaminergiques. Les centres du plaisir et de la motivation ne réagissent pas qu’aux neurotransmetteurs. Les idées, les indices de rappel d’une expérience positive, l’anticipation du plaisir ou d’un bien-être sont aussi de puissants stimulants. Et tout porte à croire que l’attente d’un effet thérapeutique bénéfique s’accompagne elle aussi de variations significatives des neurotransmissions.

  • Krell HV, Leuchter AF & coll. Subjects expectations of treatment effectiveness and outcome of treatment with an experimental antidepressant. J Clin Psychiatr 2004 ; 65 : 1174-1179.
  • McRae C., Cherin E., Yamazaki T.G. et al. Effects of perceived treatment on quality of life and medical outcomes in a double-blind placebo surgery trial. Arch Gen Psychiatry 2004 ; 61 : 412-420.
  • Bottéro, A. L’éthique au secours de la psychochirurgie ? Neuropsychiatrie : Tendances & Débats 2004 ; 23 : 13-24.
  • Volkow N. Expectation and brain function in drug abuse. Am J Psychiatr 2004 ; 161 : 621. (Commentaire par l’auteur de sa publication originale : Volkow ND, Wazng GJ, Ma Y & coll. Expectation enhances the regional brain metabolic and the reinforcing effects of stimulants in cocaine abusers. J Neurosci 2003 ; 23 : 11461-11468.)