La neurochirurgie des TOC « évaluée » par la Haute Autorité de santé

Article paru dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2007 ; 31.

Au dernier trimestre de l’année 2006, les psychiatres français ont eu le privilège de recevoir de la Haute Autorité de santé (HAS) un petit fascicule de sa série Évaluation des technologies de santé, qui était consacré à « La prise en charge et la place de la neurochirurgie fonctionnelle dans les troubles obsessionnels-compulsifs (TOC) résistants » (1). Bien que le document paraisse plutôt succinct – pas plus de trois pages de texte en tout -, il affiche l’ambition de réaliser « une analyse critique de la littérature » à partir d’« une recherche multibase en langue française et anglaise effectuée sur la période 1984-2004 […qui] a porté sur les études de bonne qualité méthodologique publiées sur la prise en charge des patients souffrant de TOC et sur les traitements neurochirurgicaux utilisés dans le cadre de pathologies psychiatriques ou de pathologie impliquant le contrôle du mouvement[†] ».

Compter traiter en trois pages les problèmes soulevés par de telles questions a de quoi surprendre. S’il est un sujet délicat à traiter en psychiatrie, un sujet sur lequel de surcroît on manque à l’évidence « d’études de bonne qualité méthodologique », c’est bien celui de la psychochirurgie. Ou, plutôt, celui de « la neurochirurgie fonctionnelle des troubles mentaux », comme les neurochirurgiens se plaisent à la rebaptiser aujourd’hui (et ils n’ont pas tort parce qu’en effet le sujet passe mieux auprès du public sous cette appellation moins marquée historiquement). On examinera donc avec intérêt comment l’HAS s’est tirée de l’exercice.

Introduction

Une introduction rapide souligne d’abord l’importance du problème. On y apprend que le TOC « serait la 4ème pathologie psychiatrique la plus fréquente après les troubles phobiques, les troubles liés aux toxiques et les troubles dépressifs ». Il « toucherait environ 2% de la population adulte ».

C’est toujours une tactique habile de grossir le sujet qui vous intéresse si vous souhaitez faire entendre votre voix. 2% de la population adulte atteinte de TOC ? Même le DSM-IV-TR, qui évoque une prévalence vie entière de 2,5%, s’empresse de préciser que « les problèmes méthodologiques posés par l’instrument d’évaluation utilisé [le DIS : Diagnostic Interview Schedule] permettent de penser que les véritables taux de prévalence sont beaucoup plus faibles » (2).

Le TOC représente-t-il la 4ème pathologie psychiatrique la plus fréquente ? Si vous posez la question à des psychiatres de terrain, des psychiatres qui voient tous les jours des patients et consacrent leur vie à les soigner, il y a gros à parier que 9 sur 10 vous répondront par la négative. Le TOC constitué, pas les petites obsessions courantes ni les ruminations obsessionnelles ponctuant des états dépressifs, est une affection rare. Même chez l’enfant où le TOC est réputé banal, il n’occupe que la 12ème place parmi les troubles mentaux les plus fréquents (3).

La HAS poursuit : « L’évolution [du TOC] est chronique dans la plupart des cas ». Tout en prenant soin de préciser, 20 lignes plus loin, que les traitements actuels « permettent […] d’en guérir environ 20% ». Pour une affection chronique, guérir une fois sur cinq, c’est plutôt paradoxal. Passons.

Problème

 

Le traitement conventionnel du TOC est ensuite brièvement évoqué : il associe les antidépresseurs sérotoninergiques et la thérapie cognitivo-comportementale (TCC). Pour cette dernière, on apprend qu’une moyenne de 13 à 20 séances de TCC est recommandée. « En présence d’une réponse insuffisante au traitement initié ou d’une co-morbidité associée, une stratégie d’augmentation avec associations médicamenteuses doit être envisagée avant de changer de molécule IRS. En cas de résistance (moins de 25% de réduction des scores sur l’échelle Y-BOCS*) ou d’intolérance aux IRS, une autre monothérapie peut être envisagée : inhibiteurs de la monoamine oxydase ou venlafaxine. L’association des TCC avec un traitement pharmacologique dépend du degré de sévérité du TOC, des capacités d’adhésion du patient et de ses ressources[‡]. Malgré un traitement bien conduit certains patients demeurent réfractaires ».

Ce sont ces TOC dits « réfractaires » qui sont les indications potentielles de la neurochirurgie fonctionnelle.

Quels sont les critères de sélection des patients opérables pour l’HAS ? Somme toute, ils sont simples :

  • Etre âgé de 20 à 65 ans
  • Avoir un TOC depuis 5 ans
  • Avoir une « souffrance significative et sévère ainsi qu’une altération majeure du fonctionnement psychosocial»
  • Avoir subi 5 ans du traitement pré-cité « sans amélioration significative ou interrompu pour effets indésirables intolérables» ; « une amélioration de moins de 25% sur l’échelle Y-BOCS définit la résistance aux traitements »
  • Avoir « un pronostic considéré comme mauvais en l’absence d’intervention» (comment un pronostic peut-il être conditionné à une intervention dont on ignore par avance le résultat ? ce n’est pas le genre de question qui embarrasse les auteurs).

Bien entendu, le patient est supposé être « consentant ». Mais, point nouveau, et assez révélateur, « l’acceptation par le psychiatre référent du suivi postopératoire à long terme du patient » est elle aussi requise pour pouvoir opérer. C’est certainement là un critère réaliste. Mieux vaut impliquer dès le début celui qui aura à assumer les soins du patient par la suite.

Rappelons au passage que les TOC sont, globalement, mal soignés, mais l’HAS se garde bien de nous en informer. Une étude récente par exemple nous apprend que si le recours aux antidépresseurs sérotoninergiques s’est maintenant généralisé, et que les posologies prescrites en sont correctes dans la plupart des cas (78% exactement, ce qui est loin d’être parfait), seul un tiers des patients bénéficient d’une psychothérapie spécialisée (TCC) d’un minimum de 13 séances, et moins d’un quart d’une TCC qui a lieu dans les règles (4). Manifestement, on pourrait mieux faire sur le plan du traitement standard des TOC, même s’il faut reconnaître que l’efficacité des IRS plafonne vite.

Solution

 

Vient ensuite l’exposition des différentes interventions pratiquées par les neurochirurgiens. L’efficacité des techniques chirurgicales dites « classiques » est présentée dans des termes flatteurs : « Les études ont montré un effet de la chirurgie d’ablation chez les sujets TOC (le taux de réponse obtenu variait de 50 à 67% selon la technique employée : capsulotomie antérieure, cingulotomie antérieure, tractotomie subcaudée, leucotomie bilimbique). »

Quand on lit de tels propos, on se demande si leurs auteurs savent vraiment de quoi ils nous entretiennent. Non seulement on ne saurait parler de « chirurgie d’ablation » si les mots ont un sens (apparemment ce n’est pas ce qui préoccupe l’HAS, ce qui en soi est significatif) : toutes les techniques énumérées se bornent à sectionner, de façon plus ou moins large, diverses cibles neuro-anatomiques, que ce soit au bistouri, par thermo-coagulation ou au g-knife (radio-bistouri gamma). Aucune « ablation » proprement dite n’est réalisée (à moins que les neurochirurgiens ne retirent des morceaux d’encéphale sans le dire à personne ? loin de nous le malveillant soupçon !) En réalité ce terme impropre de « chirurgie d’ablation » n’a aucune importance technique ici. Sa seule fonction est d’ordre rhétorique. C’est une hyperbole servant à mettre en valeur la nouvelle technique « made in France », qui intéresse au plus haut point les auteurs : la stimulation cérébrale profonde, « technique ciblée non lésionnelle » telle qu’elle se voit ici définie.

Mais il y a surtout quelque franche malhonnêteté scientifique à affirmer que « les études ont montré […] un taux de réponse […] de 50 à 67%. » On s’est déjà longuement étendu sur cette question dans les pages de ce journal, il est inutile d’y revenir dans le détail (5). Même les auteurs qui défendent le bien-fondé de l’abord neurochirurgical des TOC estiment que, tout bien considéré, ce sont au mieux 25 à 30% des patients opérés qui retirent un « bénéfice substantiel » de ce type d’interventions « classiques » (6). Estimation qui ne s’attarde guère sur les multiples biais d’évaluation favorables aux interventions : absence de groupe témoin, aucune évaluation indépendante, très peu de cas analysés prospectivement, majorité de « perdus de vue », des publications faisant presque uniquement état de cas favorables ou relativement favorables, etc. Tout ceci n’a aucune importance pour l’HAS puisque l’essentiel de son propos se trouve ailleurs. Il est de soutenir, et d’encourager, le recours à la stimulation cérébrale profonde dans les « TOC résistants ». Celle-ci aurait « pour avantage théorique la réversibilité » (« théorique » est un terme idoine ; en pratique, on ne sait encore rien de cette irréversibilité qui lui est prêtée), et permettrait « d’obtenir un résultat de qualité sans effets indésirables ».

Là encore, les scrupules scientifiques ne viennent pas peser inutilement sur la conscience des auteurs. Les complications de la stimulation cérébrale profonde sont fréquentes et ses effets indésirables loin d’être anodins, à en juger par ce qui est observé chez les sujets atteints de maladie de Parkinson opérés (7). Mais les scrupules étant l’un des symptômes les plus caractéristiques du TOC, peut-être les auteurs, qui savent de quoi ils parlent, préfèrent-ils ne pas trop en faire état : sait-on jamais ?

En vérité, une dizaine de patients à peine ont été opérés, qui se trouvent à l’origine de cette « évaluation des technologies de santé » manquant de sérieux. Il faut maintenant espérer que les patients qui vont se voir implantés à la suite retireront quelque « bénéfice substantiel » sans trop de dégâts, de dégâts frontaux en particulier[§]. Il y aura, en tout état de cause, de sérieuses raisons de douter de la valeur de tels bénéfices si leur évaluation se voit confiée à l’HAS et menée à l’instar de celle qui vient de nous être livrée.

La raison de l’absence flagrante d’objectivité de cette évaluation de l’HAS ? Elle tient d’évidence à la composition particulièrement « biaisée » du groupe de travail qui en est l’auteur. Sur ses 21 membres, on dénombre 9 neurochirurgiens, 7 psychiatres (dont plusieurs membres d’équipes chirurgicales activement engagées dans l’implantation expérimentale de pathologies psychiatriques dites « résistantes »), 3 neurologues, un neuro-radiologue, un neurophysiologiste clinicien. Nulle part les conflits d’intérêt du groupe de travail ne sont abordés. Ce défaut majeur est malheureusement coutumier des évaluations de l’HAS, comme le fait remarquer le comité de rédaction de la Revue Prescrire (8).

Références

 

(1) Haute Autorité de santé. Evaluation des technologies de santé. « Troubles obsessionnels compulsifs (TOC) résistants : prise en charge et place de la neurochirurgie fonctionnelle ». 11 pages. Document validé en juillet 2005 par le Collège de l’HAS ; daté de mars 2006 ; distribué en novembre 2006.

(2) American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition, Text Revision (DSM-IV-TR). American Psychiatric Association, Washington, DC, 2000 ; p. 460. Le chiffre de 2,5% est extrapolé à partir des enquêtes épidémiologiques qui ont été conduites avec le Diagnostic Interview Schedule (DIS) : cf. Bebbington PE, Epidemiology of obsessive-compulsive disorder, Br J Psychiatr 1998, 173 (suppl. 35) : 2-6. Utilisant le même DIS, les cliniciens de Taiwan semblent plus proches de la réalité pathologique lorsqu’ils observent des prévalences vie entière inférieures à 1% : de l’ordre de 0,3% dans les campagnes et de 0,9 dans une grande ville comme Taipei (ibid.).

(3) Stein MB. Epidemiologic perspective on social anxiety disorder. J Clin Psychiat 2006 ; 67 (suppl 12) : 3-8.

(4) Mancebo MC, Eisen JL, Pinto A & coll. J Clin Psychiatr 2006 ; 67 : 1713-1720.

(5) Bottéro A. L’éthique au secours de la neurochirurgie ? Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2004 ; 23 : 13-23 (www.neuropsychiatrie.fr) ; article repris (complété) in : L’Evol Psychiatr 2005 ; 70 : 557-576.

(6) Jenike M.A. Neurosurgical treatment of obsessive-compulsive disorder. Brit J Psychiatry 1998 ; 173 (suppl. 35) : 79-90.

(7) Complications neuropsychiatriques de la stimulation cérébrale profonde. Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2004 ; 25 : 50 (www.neuropsychiatrie.fr).

(8) Revue Prescrire 2007, 27 : 389.

[†] Il y a quelque abus de confiance à prétendre que seules « les meilleures études récentes […] sur la période 1984-2004 » ont été retenues pour répondre à la question qui était posée. Lorsqu’on consulte la liste des publications effectivement analysées (celle-ci est accessible, ainsi que le rapport de travail des relecteurs, sur le site de l’HAS : www.has-sante.fr), l’essentiel de l’analyse de la littérature fournie a consisté à recopier les résultats d’un précédent rapport sur la question du Collège royal de psychiatrie britannique publié en 2000, rapport qui, par force, devait se contenter de publications largement périmées, remontant pour la plupart aux années soixante/soixante-dix : cf. Neurosurgery for Mental Disorder. Report from the Neurosurgery Working Group of the Royal College of Psychiatrists (Council Report CR89). Londres : Royal College of Psychiatrists, 2000 (consultable sur le site du Royal College : www.rcpsych.ac.uk).

* On se demande combien des psychiatres auxquels se destine cette brochure connaissent l’échelle Y-BOCS en question (Yale-Brown Obsessive Compulsive Scale : une échelle d’évaluation de référence des symptômes obsessionnels).

[‡] A quelles « ressources » est-il fait allusion ? intellectuelles ? affectives ? financières ?

[§] Même le Quotidien du Médecin a jugé honnête de faire état de complications dans un article consacré aux espoirs de la stimulation cérébrale profonde dans la « dépression résistante » : « Un certain nombre d’effets indésirables d’ordre psychiatrique ont été observés chez les parkinsoniens opérés. Certains patients présentent en effet, au décours de l’intervention, un syndrome apathique se traduisant par une indifférence et un manque de préoccupation par rapport à la symptomatologie parkinsonienne qui, pourtant s’améliore de façon très importante sur le plan moteur. Cet état d’indifférence semble se distinguer d’authentiques épisodes dépressifs, diagnostiqués chez des patients stimulés. D’autres réactions psychiatriques aiguës ou d’euphorie pathologique ont aussi été signalées. » Butlen-Ducuing F, d’après une interview de Millet, B. Quot Med n° 8057, jeudi 23 nov. 2006, p. 10 (www.quotimed.com). « Indifférence », « apathie », « désintérêt vis-à-vis de soi-même », « euphorie pathologique » : d’ordinaire les neurologues qualifient de tels tableaux de « syndrome frontal ».